Film américain de Peggy Holmes (2022), avec Eva Noblezada, Simon Pegg, Jane Fonda, Whoopi Goldberg, Flula Borg, Lil Rel Howery, Colin O’Donoghue, John Ratzenberger… 1h46. Mise en ligne sur Apple TV + le 5 août 2022.
Sam a grandi de famille d’accueil en famille d’accueil sans jamais trouver le foyer de ses rêves et les parents adoptifs qui allaient de pair. Alors quand elle atteint sa majorité et entre enfin de plain-pied dans le grand bain de l’âge adulte, elle se jure de tout faire pour épargner les aléas d’une adoption transitoire à la petite Hazel qu’elle considère comme sa protégée. Ses débuts dans le monde se déroulent sous le signe de la malchance, avec ses tartines qui tombent systématiquement du côté de la confiture et ses enchaînements de catastrophes qu’on jurerait orchestrés par un vilain génie occulte. Mais cette spirale s’inverse lorsque Sam trouve un jeton porte-bonheur. Alors, quand ce talisman tombe inopinément dans la fente d’une plaque d’égout, elle refuse de subir comme une fatalité absurde la malédiction qui va de pair. Quitte à se retrouver entraînée dans une autre dimension où la chance et la malchance coexistent sans communiquer. Associée à un chat noir qui refuse lui aussi son destin chagrin, elle va tout faire pour qu’Hazel soit adoptée par la famille de ses rêves et croiser sur sa route les créatures les plus inattendues dont une dragonne sentimentale, des goblins facétieux et un gardien du temple à l’accent teuton prononcé.
Présenté en avant-première au dernier festival d’Annecy, Luck est un conte initiatico-fantastique d’une époustouflante perfection technique et artistique dont les séquences les plus réalistes n’ont rien à envier aux films en images traditionnelles et dont les incursions dans l’imaginaire s’avèrent d’une rare poésie. Il faut dire que parmi ses producteurs figure un authentique génie de l’animation en la personne de John Lasseter, le réalisateur de Toy Story et ex-patron de Pixar débarqué de la tête du studio en 2018 après avoir été accusé de harcèlement sexuel. C’est sous l’égide de Skydance Media, pour lequel il officie depuis janvier 2019, qu’il confirme aujourd’hui sa maestria légendaire à travers une histoire qui mêle humour et émotion avec une confondante virtuosité empreinte de poésie, autour du sort aléatoire et souvent funeste réservé aux enfants abandonnés. Comme souvent dans les films marqués de l’empreinte de Lasseter, le sous-texte est au moins aussi sous-jacent que le propos principal dont il constitue l’émanation directe. Avec une détermination assumée à pratiquer le mélange des genres sous l’égide d’une narration parfois disruptive et toujours audacieuse.
En filigrane de Luck affleure la coexistence de deux univers antagonistes, la chance et la malchance, dont les ressortissants manifestent plus d’affinités et de points communs qu’il ne pourrait y paraître de prime abord, ne serait-ce que parce qu’ils appartiennent aux deux versants d’un monde unique. Le film de Peggy Palmer (assignée jusqu’alors à signer des déclinaisons mineures des aventures de la petite sirène ou de la fée Clochette) repose en outre sur le contraste appuyé qui s’établit entre des séquences réalistes au cours desquelles Sam goûte aux aléas de sa vie de jeune adulte confrontée au poids du quotidien et aux aléas de la vie professionnelle, et des échappées fantastiques dans une sorte d’univers parallèle où des puissances mystérieuses agissent sur notre quotidien comme depuis une véritable tour de contrôle aux allures de salle des machines. Avec en guise de fétiche un matou aux grands yeux obsédé à l’idée de conjurer la malédiction tenace associée à la couleur de son pelage. Luck est un délicieux émerveillement à marquer d’une pierre… bleue.
Jean-Philippe Guerand
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