Film français de Jean Becker (2022), avec Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Benoît Poelvoorde, Stéfi Celma, Anouk Grinberg, Fred Testot, Marc Andréoni, Philippe Brigaud, Loïc Armel Colin… 1h37. Sortie le 24 août 2022.
Fanny Ardant et Gérard Depardieu
La genèse de ce film est pour le moins atypique. Ce sont en effet les producteurs Michèle et Laurent Pétin qui ont commandé à Jean-Loup Dabadie l’adaptation d’un roman du prolifique Georges Simenon qui tourne autour de la figure du comédien Émile Maugin, un monstre sacré que son médecin traitant met en garde contre les excès, mais qui va passer outre et précipiter son trépas. Paru en 1950, Les volets verts a déjà fait l’objet d’une adaptation télévisée en 1988 dans le cadre de la fameuse collection “L’heure Simenon”. Jean Becker a pris l’heureuse initiative de transposer son intrigue à l’orée des années 70, sans jamais chercher à en surligner inutilement les signes extérieurs. Comme si le monde du spectacle évoluait dans un autre espace-temps. Il campe solidement son protagoniste dans cette époque charnière où Paris est encore une fête où les stars du boulevard perdent de leur aura, face à la concurrence des “étranges lucarnes” cathodiques chères au Général de Gaulle. Il campe ainsi sa bête de scène au sommet de sa gloire, en proie à une fringale de jouir qui se partage entre les représentations quotidiennes, son amour contrarié pour une diva inaccessible et les différents membres de son entourage qu’il soutient et entretient. Évocation d’une ère révolue où la noblesse du théâtre consistait à distraire le public de son quotidien en l’invitant à des voyages sans frontières autres que l’imaginaire.
Gérard Depardieu
Pour avoir collaboré avec Jean-Loup Dabadie à trois reprises, de La tête en friche (2010) au Collier rouge (2018), Jean Becker était sans doute le metteur en scène le mieux à même de donner chair à cette chronique du crépuscule de la vie parisienne. Il y réussit à merveille grâce à une distribution impeccable. Émile Maugin est l’un de ces personnages rabelaisiens comme Gérard Depardieu les porte dans sa chair, il y a peu tout en retenue dans la peau d’un autre héros de Simenon en Maigret pour Patrice Leconte. Il ne fait dès lors qu’une bouchée de cet ultime salut pétri de grands sentiments, face à des partenaires de choix avec lesquels il entretient une complicité qui crève l’écran. De sa complice de quarante ans Fanny Ardant (pour leur douzième rencontre à l’écran), à Benoît Poelvoorde en fidèle camarade (c’est leur huitième confrontation), Fred Testot en chauffeur dévoué, Stéfi Celma en protégée et Anouk Grinberg en habilleuse, chacun de ces personnages possède un précieux supplément d’âme né d’un rôle creusé et d’une direction d’acteurs impeccable. Tout l’art du cinéaste consiste dès lors à servir son scénario en poussant chacun de ses interprètes à donner le meilleur de lui-même, sans y aller de son solo trop ostentatoire. Avec en prime quelques confrontations mémorables et des performances d’acteur qui évitent tout cabotinage. À 89 ans, Jean Becker renoue avec ses plus belles réussites par une humanité chaleureuse et une empathie inaltérée qui s’expriment notamment à l’occasion d’une séquence “pagnolesque” qu’il a rajoutée au script : une savoureuse partie de pêche qui trahit la connaissance intime du sujet dont peut témoigner ce coutumier de l’ïle de Ré… où beaucoup de maisons arborent d’ailleurs des volets verts.
Jean-Philippe Guerand
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