Le voyageur sans bagage Film français de Jean Anouilh (1944), avec Pierre Fresnay, Pierre Renoir, Blanchette Brunoy, Sylvie, Marguerite Deval, Jean Brochard, René Génin, Louis Salou, Odette Barencey, Pierre Brulé, Jenny Burnay, Gabrielle Fontan, Étienne Decroux, Léonce Corne, Henri Gaultier, Léon Larive… 1h39. Sortie le 23 février 1944.
Deux sous de violettes Film français de Jean Anouilh (1951), avec Dany Robin, Georges Baconnet, Madeleine Barbulée, Michel Bouquet, Georges Chamarat, Jacques Clancy, Léonce Corne, Henri Crémieux, Max Dalban, Yvette Etiévant, Gabrielle Fontan, Yves Robert… 1h38. Sortie le 31 octobre 1951. Box-office : 1 490 756 entrées.
Disponibles sur le site gaumontclassique.fr
C’est à l’âge de 33 ans que, profitant de l’euphorie de ses succès répétés à la scène, le dramaturge Jean Anouilh décide de se lancer dans la réalisation, suivant en cela les exemples prestigieux de ces hommes de lettres polyvalents qu’étaient Sacha Guitry, Marcel Pagnol et son idole Jean Cocteau, dont la réussite à l’écran n’avait plus rien à envier à leurs prestigieuses destinées littéraires. Après avoir contribué en tant que scénariste à une demi-douzaine de films depuis 1937, c’est par l’adaptation d’une de ses propres pièces que débute l’écrivain. Il en confie par ailleurs le rôle principal à un comédien de théâtre devenu une vedette de l’écran, Pierre Fresnay, qui lui avait confiance à ses débuts en créant sa pièce “L’hermine” dès 1932 et comptait depuis lors parmi ses amis les plus intimes et ses soutiens les plus inconditionnels.
Pierre Fresnay et Blanchette Brunoy
dans Le voyageur sans bagage
Troisième des quatre “Pièces noires” entreprises à partir de 1931, “Le voyageur sans bagage” a été créé sur la scène du Théâtre des Mathurins en 1937 par Georges et Ludmilla Pitoëff, en lieu et place de Louis Jouvet pressenti à l’origine, lequel avait pourtant prêté en 1932 au couple formé par Anouilh et la comédienne Monelle Valentin des accessoires de théâtre afin de meubler leur modeste appartement de la rue de Vaugirard. Devenu entre-temps une vedette de la scène après avoir claqué la porte de la Comédie Française, Fresnay y campe un archétype très en vogue dans le cinéma de l’Entre-Deux-Guerres. Un amnésique qui se trouve confronté à sa famille supposée au contact de laquelle il réalise qu’il ne lui est peut-être pas indispensable de retrouver la mémoire pour vivre heureux, tant ses relations avec les siens semblent plombées. Loin des mélodrames flamboyants réalisés à Hollywood sur de tels sujets par John Stahl ou Frank Borzage, Anouilh s’interdit tout lyrisme au profit d’un portrait de la bourgeoisie au vitriol. Il se complaît à décrire un milieu endogame où tout élan de spontanéité se heurte au rempart des conventions sociales. Sans faire pour autant de son personnage principal quelqu’un de sympathique. Idée lumineuse qui légitime à elle seule son appartenance à cette caste d’un autre âge et inspirera ces mots à Colette dans le quotidien “Le Journal” : « Il m’est doux qu’un sanglot crève en éclat de rire et qu’un échange comique de réparties amasse les larmes. » Sa transposition cinématographique est quant à elle totalement exempte d’humour, mais bourrée de talents artistiques, de la photographie de Christian Matras à la musique de Francis Poulenc.
Gabrielle Fontan et Pierre Fresnay
dans Le voyageur sans bagage
En auteur de théâtre aguerri, Anouilh soigne tout particulièrement le casting du Voyageur sans bagages. Avec une prédilection particulière pour les seconds rôles dont le cinéma français vivait l’âge d’or. Conscient du fait que le théâtre et le cinéma ne répondent pas tout à fait aux mêmes mécanismes, il fait appel pour épauler son baptême du feu à l’un des écrivains les plus aguerris en la personne de Jean Aurenche avec qui il avait déjà collaboré à plusieurs reprises, sur sa première pièce, “Humulus le Muet”, dès 1932 (mais elle ne sera montée qu’en 1948 !), et les films Vous n’avez rien à déclarer ? (1937) de Léo Joannon, Les dégourdis de la 11e de Christian-Jaque et Cavalcade d’amour (1940) de Raymond Bernard. Cette activité restera pour lui accessoire, mais il y laisse cependant libre cours à son goût immodéré pour une satire sociale parfois cruelle et fondamentalement pétrie de pessimisme qui transparaît également à travers une partie de son théâtre. Reste que son premier film sort le 23 février 1944, c’est-à-dire très exactement dix-neuf jours après la première de sa version d’“Antigone” mise en scène au Théâtre de l’Atelier par André Barsacq.
Georges Baconnet et Dany Robin
dans Le voyageur sans bagage
Sept années s’écoulent entre Le voyageur sans bagage et le second film d’Anouilh dont l’idée originale lui est suggérée par son épouse, Monelle Valentin, qui en rédige le scénario. Intitulé à l’origine La petite Thérèse. Deux sous de violettes (1951) est un pur mélo qui s’attache au destin chagrin d’une jeune fille de milieu modeste confrontée à l’insatiable concupiscence des mâles. Un rôle incarné avec la fraîcheur de rigueur par Dany Robin, surnommée “la petite fiancée de la France”, qui concentre tous les stigmates de l’ingénue, au fil de ce calvaire pavé de mauvaises intentions et d’hommes vicieux, pervers ou simplement inconséquents. Ce tableau de mœurs dont les décors sont signés Léon Barsacq et la musique Georges Van Parys, avec une goualante en prime, s’avère d’une cruauté assez jubilatoire. Loin du machisme ordinaire en vigueur à l’époque, elle accable en effet ses protagonistes masculins de tous les maux, du fleuriste grivois campé par Georges Baconnet au voyou à l’ancienne incarné par Yves Robert et au médecin libidineux qu’interprète Henri Crémieux. La satire des bonnes mœurs est par ailleurs transcendée par l'interprétation et notamment une galerie de seconds rôles pittoresques d’où émergent des figures aussi hautes en couleurs que Gabrielle Fontan, Marcelle Praince, Germaine Reuver, Madeleine Suffel, Jacques Dufilho, Madeleine Barbulée et Jean-Pierre Mocky. Redécouvrir aujourd’hui la double contribution d’Anouilh au cinéma démontre qu’il aurait pu y poursuivre une carrière intéressante, si la scène n'avait pas valu des succès flatteurs à l'auteur. Reste les nombreux scénarios auxquels il a collaboré, du film Vous n'avez rien à déclarer (1937) de Léo Joannon au téléfilm “La belle vie” (1979) de Lazare Iglésis. Avec toujours la même hargne renouvelée.
Jean-Philippe Guerand
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