Film français de Ludovic et Zoran Boukherma (2022), avec Marina Foïs, Kad Merad, Jean-Pascal Zadi, Christine Gautier, Ludovic Torrent, Philippe Prévost, Jean Boronat, Jean-Jacques Bernède… 1h27. Sortie le 3 août 2022.
Christine Gautier et Marina Foïs
L’apparition d’un requin au pic de la saison touristique provoque la panique sur la côte landaise, au moment même où Maja s’apprête à goûter à la retraite anticipée qu’appelle de ses vœux son mari, Thierry. Mais avant de se résoudre à cet embaumement qui l’effraie, la gendarmette se sent tenue d’assurer son ultime mission en empêchant de nuire le squale tueur. D’un point de départ qui évoque à dessein celui des Dents de la mer, les frères Boukherma tirent une comédie décalée dont le casting illustre l’esprit subversif. L’année du requin repose sur un équilibre précaire constant entre les conventions du cinéma catastrophe hollywoodien et un humour qui dynamite régulièrement les situations les plus banales. Un peu comme si Jean-Pierre Mocky s’était vu assigner la mission d’apporter sa contribution au genre et avait tenu simultanément à marquer son territoire coûte que coûte. Le décalage sur lequel repose L’année du requin est dû pour une bonne part à son casting. En recrutant Marina Foïs, Kad Merad et Jean-Pascal Zadi, les frères Boukherma ont tenu en quelque sorte à marquer leur territoire, comme ils l’avaient déjà fait à partir des conventions du film de loups-garous dans Teddy, sorti il y a treize mois. Avec cette même volonté d’acclimater au cartésianisme de notre Hexagone des genres peu usités au sein de son cinéma, mais fort appréciés par le public dès lors qu’ils proviennent des pays anglo-saxons ou d’Asie.
Kad Merad
La réussite de L’année du requin repose sur l’équilibre qui s’établit entre les conventions du film de genre, avec l’apparition de la menace, son identification et le combat singulier qu’elle engendre. En l’occurrence, ici, il s’agit du baroud d’honneur d’une fonctionnaire de la gendarmerie maritime dont l’essentiel de la carrière a été occupée à exécuter des tâches de routine et que son mari a encouragé à abandonner prématurément, au moment même où survient le premier événement susceptible de donner un sens exceptionnel à sa mission de salubrité publique. Cruel dilemme qui répond à l’aspect humain de ce film catastrophe en accord avec les sacro-saintes règles de ce genre ô combien codifié, sinon que le requin proprement dit a une fâcheuse tendance à jouer les arlésiennes, avec ou sans effets spéciaux. L’habileté des frères Boukherma repose toutefois sur leur détermination à se frotter à une tradition qui est cinématographique avant d’être territoriale (les Italiens et les Espagnols s’y sont notamment essayés eux aussi à moindres frais), en respectant scrupuleusement ses codes, mais en la transposant dans le contexte de la France profonde au faîte de la sacro-sainte période des congés payés. Ce microcosme franchouillard revendique l’influence de Jean-Pierre Mocky à travers l’échantillonnage croquignolet qui l’habite.
Christine Gautier et Jean-Pascal Zadi
Là où Steven Spielberg ne s’attardait pas à détailler humainement les plages bondées des Dents de la mer, afin de mieux se concentrer sur l’équipage héroïque qui défiait le squale en combat singulier, L’année du requin aboutit au même résultat en s’attardant sur le laxisme dubitatif de la population locale, laquelle ne croira réellement au danger que lorsque l’irrémédiable sera advenu. Il y a aussi chez la fonctionnaire déterminée qu’incarne Marina Foïs cette volonté chevillée au corps qui conférait toute sa force au capitaine Achab de Moby Dick d’Herman Melville, obsédé à l’idée de traquer à travers les mers le cachalot qui l’avait amputé d’un membre. Ce film baigné de bon sens réussit à jouer à la fois sur les deux tableaux sans héroïser à outrance ses protagonistes. Comme il est de règle dans le cinéma d’aventure, c’est au contact d’événements extraordinaires que des personnages comme les autres se transcendent pour parvenir à se hisser au rang de héros à part entière et donner un véritable sens à leur vie. Mais toujours sur ce fil tendu entre le premier et le second degré qui confère cette saveur si particulière à L’année du requin par son humour décalé.
Jean-Philippe Guerand
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