Film suisse de Lionel Baier (2022), avec Isabelle Carré, Théodore Pellerin, Ursina Lardi, Ivan Georgiev, Adama Diop, Elisabeth Owona, David Coco, Indri Shiroka, Nicolas Roussiau, Daphne Scoccia… 1h29. Sortie le 24 août 2022.
Isabelle Carré
Encore très méconnu, Lionel Baier est pourtant l’un des rares cinéastes suisses contemporains à poursuivre une œuvre aussi singulière que cohérente, même si c’est à un rythme de sénateur. Une volonté de ne jamais confondre vitesse et précipitation qui ne l’empêche pas de rester droit dans ses bottes et de tisser des variations autour des mêmes thèmes. La dérive des continents (au Sud) constitue ainsi le nouveau chapitre du cycle sur la mondialisation amorcé avec Comme des voleurs (à l’Est) (2006) et Les grandes ondes (à l’Ouest) (2013). Ce nouvel opus présenté lors de la dernière Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes s’attache aux repérages d’une fonctionnaire de l’Union Européenne chargée d’établir le protocole de la visite officielle que doivent effectuer dans un camp de migrants en Sicile le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel. Avec à la clé ses retrouvailles imprévues avec son fils rebelle engagé dans une ONG. Entre cette technocrate zélée qui a accompli un coming-out visiblement mal accepté par son entourage et ce jeune militant idéaliste toujours prêt à en découdre, il y a toutefois un fil ténu qui ne demande qu’à se consolider, tant les anime un esprit frondeur commun au service de convictions pas toujours conciliables.
Isabelle Carré
Épaulé à l’écriture par le réalisateur de Je suis un soldat (2015), Laurent Larivière, Lionel Baier défend son propos complexe en s’appuyant sur deux interprètes d’une grande justesse. Isabelle Carré incarne avec subtilité cette technocrate au garde-à-vous des institutions dont le seul signe de rébellion réside dans sa bisexualité, face au comédien québécois Théodore Pellerin qui campait Vincent Cassel jeune dans Juste la fin du monde (2016) de Xavier Dolan. Le film réussit habilement à mixer la confrontation de ces deux générations avec la crise existentielle aiguë que traverse une certaine jeunesse dont les cris se perdent dans le silence assourdissant des dirigeants du monde occidental, plus motivés par des intérêts économiques qui les dépassent. Il est ironique que ce soit un cinéaste helvétique qui vienne rappeler les citoyens européens à leurs devoirs face à des enjeux aussi fondamentaux que les migrations climatiques. Dès lors, le titre La dérive des continents (au Sud) prend tout son sens et son utopie faussement réjouissante s’inscrit dans la lignée de celle que véhiculait le conte de Louis Garrel La croisade qui convoquait quant à lui une génération à la fois plus jeune, plus déterminée, mais moins désabusée. Lionel Baier distille une petite musique à laquelle tout le monde devrait être réceptif, tant elle semble dictée par le bon sens davantage que par une quelconque dialectique fumeuse. Son film est juste jubilatoire.
Jean-Philippe Guerand
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