Film italo-français de Damiano et Fabio d’Innocenzo (2021), avec Elio Germano, Astrid Casali, Sara Ciocca, Maurizio Lastrico, Carlotta Gamba, Federica Pala, Filippo Dini, Massimo Wertmüller… 1h33. Sortie le 17 août 2022.
Sara Ciocca, Federica Pala et Carlotta Gamba
Révélés par Frères de sang (2018), les frères d’Innocenzo tissent leur toile dans une Italie à laquelle le cinéma local ne semble plus vraiment prêter attention. Un pays fracturé dont les laissés-pour-compte croupissent dans leur fange sans le moindre espoir de surmonter leur destin chagrin. Dans leur précédent film, Storia di vacanze (2020), Ours d’argent du meilleur scénario à Berlin, ces autodidactes également associés par Matteo Garrone à l’écriture de Dogman (2018) s’attachaient à des proscrits de banlieue tentant de se satisfaire de la période estivale dans l’illusion des vacances incarnées par un barbecue et des séances de bronzage dérisoires ponctuées de rires et d’éclats. Dans America Latina, c’est un dentiste au cadre idyllique qui découvre que sa cave recèle une petite fille visiblement cloîtrée, sans toutefois comprendre l’origine véritable de cette situation qui ne peut le renvoyer qu’à lui-même et à ses pires démons, s’il trouve la force et la volonté d’en démêler les tenants et les aboutissants. Sous le vernis des apparences sociales et les signes extérieurs d’un train de vie ostentatoire affleure cependant une vérité nettement moins flatteuse. Reste à comprendre comment une telle situation a bien pu s’établir et si c’est vraiment tout à fait à l’insu de ce bourgeois énigmatique confiné dans une solitude oppressante…
Elio Germano
America Latina s’inscrit dans la continuité logique des deux précédents opus des cinéastes transalpins par les questionnements qu’il induit quant aux rapports de l’individu avec le milieu dont il est issu, sous le boisseau d’une certaine fatalité sociale qui le marque au fer rouge. Sur un thème que le cinéma anglo-saxon aurait vraisemblablement tiré aux confins du cinéma d’horreur, ce huis-clos étouffant préfère s’attacher aux zones d’ombre d’un bourgeois qui s’est reclus dans le déni d’une existence dévastée, sans plus distinguer le bien du mal, ni la normalité de l’abominable. Avec cette symbolique puissante qui consiste à reléguer les démons qui le hantent dans une cave, dès lors assimilée à son enfer le plus intime. Ce film assume le malaise insidieux qu’il distille, grâce à une mise en scène associée à une occupation de l’espace oppressante et à l’interprétation prodigieuse d’Elio Germano que les deux frères dirigent pour la deuxième fois d’affilée et en qui ils semblent avoir trouvé un alter ego idéal. America Latina est un spectacle délibérément peu aimable qui assume cependant l’intégralité de ses postures et de ses partis pris, sans jamais chercher à plaire sur un sujet qui ne saurait s’y prêter. Avec en ligne de mire le côté obscur de l’humanité qu'exprime à merveille la sublime affiche du film sur laquelle le crâne glabre du personnage principal est assimilé à une coquille d’œuf brisée, avec accès direct au cerveau. Le fil rouge sang des frères d’Innocenzo, au sein d’un jeune cinéma italien qui s’est résolu à avancer désormais en ordre dispersé. Quitte à prendre le risque de choquer ou de déplaire en affirmant des partis-pris radicaux…
Jean-Philippe Guerand
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