Film américain de Woody Allen (2020), avec Wallace Shawn, Elena Anaya, Gina Gershon, Louis Garrel, Sergi López, Christoph Waltz, Tammy Blanchard, Richard Kind, Nathalie Poza, Steve Guttenberg, Douglas McGrath, Yuri D. Brown, Carmen Salta, Enrique Arce, Andrea Trepat… 1h32. Sortie le 13 juillet 2022.
Gina Gershon et Wallace Shawn
En mission au festival de San Sebastian, une attachée de presse veille sur ses clients parmi lesquels un jeune cinéaste français acclamé, tandis que son ex-professeur de cinéma de mari, quant à lui en vacances, porte sur cette faune un regard pour le moins narquois et désabusé… Rifkin’s Festival est l’occasion pour l’autodidacte érudit Woody Allen d’exprimer une fois de plus son admiration pour ses maîtres, à travers les fantasmes de son alter ego que campe ici Wallace Shawn, en vieux sage désabusé auquel on n’apprend pas à faire des grimaces. On a juste un peu de mal à comprendre comment ce petit bonhomme narquois a réussi à partager la vie de ce petit soldat au garde-à-vous de l’industrie qu’incarne la trop rare Gina Gershon. Le cinquantième film du cinéaste joue ainsi sur l’effet miroir qu’il entretient avec l’un de ses opus les plus controversés, Stardust Memories (1980). On y retrouve les mêmes signes de reconnaissance familiers, ceux qui traversent son œuvre comme les ultimes références d’un autodidacte qui s’est construit à partir des films qui ont bercé sa jeunesse. Avec une prédilection appuyée pour le cinéma européen, largement représenté ici à travers des parodies tendres et humoristiques de Jules et Jim (avec Gina Gershon en Jeanne Moreau) au Septième sceau (avec Christoph Waltz en Max von Sydow). Des emprunts choisis qui reflètent les fantasmes de Mort Rifkin tels qu’il les exprime à son psychanalyste, autre figure récurrente qui court à travers les films de Woody Allen depuis toujours et fait office ici de fil rouge d’une histoire fantasmée depuis un divan.
Wallace Shawn, Gina Gershon et Louis Garrel
Rifkin’s Festival est une nouvelle déclaration d’amour de Woody Allen à ses maîtres, à travers laquelle il se montre assez critique vis-à-vis du cinéma contemporain partagé entre des petits maîtres gonflés de vanité (Louis Garrel se révèle inénarrable en auteur faussement détaché) et un cinéma usiné par des promoteurs toujours à l’affût de la recette qui fait recette. Nul besoin toutefois de partager sa cinémathèque idéale pour goûter à ce film qui ressemble en quelque sorte à un calendrier de l’avent dont chaque fenêtre nous propose une invitation au rêve, au propre comme au figuré. L’honnêteté exige de préciser que ce film sort près de deux ans après sa première présentation au festival de San Sebastian et qu’entre-temps, pour la première fois depuis plus de quatre décennies, Woody Allen n’en a pas encore entrepris de nouveau, même s’il est toujours question d’un Untitled Paris Project encore hypothétique. Le cinéaste new-yorkais est en effet devenu la cible des puritains qui lui reprochent d’avoir épousé la fille adoptive de son ex-compagne, Mia Farrow, cette dernière l’ayant par ailleurs accablé sans droit de réponse dans une mini-série documentaire télévisée à charge diffusée aux États-Unis sur HBO Max et en France sur OCS. C’est une fois de plus en se réfugiant dans son paradis artificiel, le cinéma, que Woody Allen retrouve ses fondamentaux. Rifkin’s Festival apparaît paradoxalement comme une œuvre apaisée qui transpire l’amour inconditionnel du septième art, à travers la mise en boîte de certaines de ses chimères. Si les pisse-froid de l’Amérique puritaine ne nous en privent pas, à 86 ans, le clown le plus mélancolique du cinéma américain nous doit impérativement d’autres opus dans cette veine.
Jean-Philippe Guerand
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