Accéder au contenu principal

“Marcel !” de Jasmine Trinca



Film italo-français de Jasmine Trinca (2022), avec Alba Rohrwacher, Maayane Conti, Giovanna Ralli, Dario Cantarelli, Giuseppe Cederna, Valentina Cervi, Valeria Golino, Umberto Orsini… 1h33. Sortie le 27 juillet 2022.



Alba Rohrwacher



Une artiste de cirque entraîne sa fille unique dans des tournées interminables où elle n’a d’yeux que pour son partenaire : Marcel… un chien. Le jour où celui-ci disparaît comme par magie, la mère se retrouve bien obligée de s’occuper de cette gamine qu’elle a négligée jusqu’alors… Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, dans la lignée du court Being My Mom (2020) qui traitait déjà d’une problématique proche avec les mêmes interprètes, l’actrice révélée à 20 ans par Nanni Moretti dans La chambre du fils (2001) a choisi de traiter d’une relation mère-fille plutôt toxique dans l’univers du cirque propice à tous les fantasmes. L’artiste est tombée littéralement amoureuse de son partenaire à quatre pattes avec lequel elle entretient une relation exclusive à la scène comme en dehors, au détriment de sa propre fille. Un sujet délicat dans lequel l’actrice-réalisatrice avoue avoir intégré beaucoup de choses vues et de sentiments vécus. Sans être à proprement parler un film autobiographique, Marcel ! est pétri de bribes de vérité parfois cruelles, mais souvent tendres aussi. Jasmine Trinca y situe en outre son intrigue dans le milieu du cirque, vivier cinématographique particulièrement propice à la fantaisie, à l’illusion voire au surnaturel, de Chaplin à Fellini.



Maayane Conti et Alba Rohrwacher



En prenant ainsi ses distances avec le réalisme, Marcel ! adopte l’allure d’une sorte de conte initiatique qui nous transporte dans l’Italie post-soixante-huitarde insouciante d’avant les Brigades Rouges. Membre du dernier jury officiel cannois où son film faisait l’objet d’une séance spéciale, Jasmine Trinca a choisi par ailleurs de demeurer en retrait en tant que comédienne et de confier le rôle de la mère (une Madre dont on ignore le prénom, tant elle est universelle) à Alba Rohrwacher, qu’elle décrit elle-même comme « un Buster Keaton déguisé en panthère, drôle et pourtant sensuelle », et celui de la fille (également dépourvue d’identité) à la petite Française Maayane Conti dont la réalisatrice déclare : « Mon rêve est qu’elle devienne mon Antoine Doinel. » Tout est dit de sa démarche artistico-psychanalytique. Deux natures incandescentes pour une confrontation pétrie de tendresse autant que de fureur qui confère à cette étude de mœurs subtile une véritable magie ponctuée de clins d’œil souvent malicieux et parfois nostalgiques. À l’instar de cet hommage rendu au duo formé naguère par les chanteurs de variétés Al Bano et Romina Power (la fille de Tyrone !). Marcel ! nous entraîne dans un univers bigarré et bariolé où tout semble imaginable. C’est l’invitation au rêve d’une comédienne qui ne filme pas pour ne rien montrer et nous donne à partager son goût prononcé pour l’illusion, en rendant au passage hommage à ses maîtres, à l’instar de ces petits rôles de Nonna et Nonno qu’elle a eu la belle idée de confier aux illustres octogénaires que sont les comédiens Giovanna Ralli (Les évadés de la nuit, 1960) et Umberto Orsini (Les damnés, 1969) dont c’est bizarrement la première rencontre à l’écran. Toujours en équilibre précaire sur le fil tendu d’une émotion qui ne semble jamais préfabriquée.

Jean-Philippe Guerand






Maayane Conti

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract