Holy Spider Film franco-dano-suédo-allemand d’Ali Abbasi (2022), avec Mehdi Bajestani, Zar Amir Ebrahimi, Arash Ashtiani, Forouzan Jamshidnejad, Alice Rahimi, Sara Fazilat, Sina Parvaneh, Nima Akbarpour… 1h56. Sortie le 13 juillet 2022.
Zar Amir Ebrahimi
Dans l’Iran de 2001, une journaliste entreprend de donner de sa personne pour essayer de démasquer le mystérieux tueur de dames qui sévit dans la ville sainte de Mashhad sous le nom de l’Araignée. Une enquête en immersion qui va mettre en évidence certains paradoxes de la république islamiste. Ce sujet scabreux, le cinéma persan d’aujourd’hui serait bien en peine de l’aborder par son traitement radical de la sexualité et un comportement criminel dont la représentation même s’avèrerait incompatible avec les préceptes moraux édictés par les mollahs. Il a d’ailleurs violemment condamné le film. Ali Abbasi, lui, est un Iranien de la diaspora né à Téhéran en 1981 et naturalisé danois qui a trouvé refuge en Scandinavie au moment d’entreprendre ses études, à l’époque même où se déroule son deuxième film. Le fait divers dont il s’inspire a connu un fort retentissement à l’époque, son protagoniste, Saeed Hahaei, une sorte de tueur en série guidé par son puritanisme, ayant par ailleurs fait l’objet à l’époque d’un documentaire post mortem de Maziar Bahari intitulé And Along Came A Spider (2002) qui retrace son parcours criminel atypique jusqu’à sa condamnation et son exécution. Un film édifiant qui est disponible sur Youtube, sous-titré en anglais : https://www.youtube.com/watch?v=1Bj6IkrKsgw
Mehdi Bajestani
Révélé par son deuxième film, Border, qui lui a valu le Prix Un certain regard à Cannes en 2018, Ali Abbasi a reconstitué l’Iran de sa jeunesse en Jordanie pour des raisons évidentes de censure. Il y montre un aspect inhabituel de la société persane à travers la représentation d’un pur tabou : la prostitution. Au point que son tueur prétend agir dans un but purificateur en éliminant les pécheresses qui souillent son environnement immédiat par leur comportement. Une vision qui tranche avec la représentation habituelle que nous avons de l’Iran. Avec en son cœur un personnage féminin hors du commun qu’incarne une actrice iranienne elle aussi réfugiée en Europe, en l’occurrence en France, Zar Amir-Ebrahimi, remarquée notamment dans Téhéran tabou (2017) d’Ali Soozandeh, à laquelle sa composition dans Les nuits de Mashhad a valu un prix d’interprétation féminine chargé de symboles au dernier Festival de Cannes et inspiré un discours de remerciement mémorable. Elle tient en effet ce rôle avec une rare ferveur et symbolise à travers son personnage le pouvoir de résilience des femmes iraniennes. Derrière le naturalisme assumé de ce polar atypique affleure un discours disruptif passionnant sur une société cadenassée de l’intérieur qui se trouve confrontée à des paradoxes qui la dépassent. En l’occurrence ici un psychopathe motivé par un puritanisme encore plus radical que celui qu’aspire à imposer le régime politique en place et auquel s’oppose une femme au double visage. Telle est l’expérience à laquelle nous convie ce miroir sans tain dans lequel le peuple iranien mériterait de pouvoir se regarder.
Jean-Philippe Guerand
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