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“La nuit du 12” de Dominik Moll



Film franco-belge de Dominik Moll (2022), avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi, Johann Dionnet, Thibault Evrard, Julien Frison, Paul Jeanson, Mouna Soualem, Pauline Serieys, Lula Cotton-Frapier, Charline Paul, Matthieu Rozé… 1h54. Sortie le 13 juillet 2022.



Bastien Bouillon et Bouli Lanners



Il fut un temps où le polar illustrait à lui seul la quintessence du cinéma de genre et constituait le terreau privilégié des cinéastes débutants. L’omniprésence des faits divers les plus scabreux a sans doute contribué à provoquer une surenchère funeste et à reléguer ce banc d’essai traditionnel des jeunes réalisateurs des années 50 et 60 du grand au petit écran, le plus souvent sous forme de séries à succès. On en avait presque oublié combien le cinéma s’était illustré dans ce domaine au fil des mutations et des époques. Avec La nuit du 12, Dominik Moll se démarque de la tradition qui a toujours prévalu et s’attache à une enquête dont il prend soin de préciser dès le départ qu’elle demeurera irrésolue. Un postulat radical dans la mesure où le principe du policier consiste à résoudre les énigmes les plus nébuleuses. En l’occurrence ici le meurtre dépourvu de mobile d’une étudiante de retour d’une fête. Le film nous place rapidement dans le camp des enquêteurs chargés de résoudre cette énigme et eux-mêmes confrontés quotidiennement aux pires turpitudes de la société. Au point de se trouver affectés dans leur quotidien à ce que la société humaine engendre de pire et de devoir faire constamment la part des choses entre leur intime conviction d’enquêteurs et leurs états d’âme personnels, sans que l’un finisse par contaminer l’autre et les prive de toute insouciance. C’est cette part d’humanité précaire à laquelle s’attache le réalisateur discret révélé naguère par Harry, un ami qui vous veut du bien (2000).



Bastien Bouillon



Les policiers auxquels s’attache La nuit du 12 sont des êtres vulnérables que leur confrontation permanente avec le mal a contribué à fragiliser sur le plan psychologique. Parce que son emprise est étouffante et dépourvue de limites. Constamment rappelés à leur sens du devoir, ces humains trop humains doivent frayer avec le mal absolu pour pouvoir tenter de l’éradiquer, mais sa puissance apparaît dépourvue de limites et ronge peu à peu leur capacité de résistance. Le film s’inspire d’une petite trentaine de pages du livre “18.3 - une année à la PJ” qu’a inspiré à Pauline Guéna son année en immersion dans les services de la police judiciaire de Versailles. Dans la lignée du fameux L.627 (1992) de Bertrand Tavernier, qui a naguère dynamité le genre, il s’attache au quotidien d’une équipe d’enquêteurs confrontés à un crime sans mobile apparent dont les suspects sont disculpés un à un. Une immersion radicale parmi une faune où crapotent les délinquants en puissance auxquels il ne manque pour les arrêter que… le flagrant délit, faute de passage à l’acte.



Bastien Bouillon



Dominik Moll reconstitue peu à peu un puzzle d’autant plus fascinant que ce n’est qu’à la fin qu’on réalise qu’il y manque le morceau qui aurait pu faire toute la différence. À travers cette enquête condamnée à ne pas aboutir, La nuit du 12 s’attache à une facette du métier de policier qu’ignore bien souvent le cinéma : ces énigmes non élucidées que les Américains ont affublé du terme de Cold Cases. De ténébreuses affaires qui servent en fait de prétexte à l’exploration d’un échantillonnage humain confronté au quotidien à la puissance sans limites du mal et condamné à vivre dans cet environnement toxique. Un cloaque dans lequel pataugent tant bien que mal deux enquêteurs aux antipodes l’un de l’autre : Yohan et Marceau qu’incarnent respectivement Bastien Bouillon et Bouli Lanners. Comme les deux facettes d’un seul et même personnage à des stades différents de son métier. Ce polar clinique et pathologique est de ceux qui remuent par leur peinture au scalpel de l’âme humaine.

Jean-Philippe Guerand




Pauline Serieys et Bastien Bouillon

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