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Bob Rafelson (1933-2022) : Rebelle avec cause

© D.R.


Considéré comme l'un des chefs de file du Nouvel Hollywood, ce cinéaste indépendant doublement nommé à l'Oscar et aux Golden Globes en 1971 pour Cinq pièces faciles est décédé le 22 juillet 2022 à l'âge de 89 ans à Aspen, dans l'état du Colorado. Il laisse une œuvre injustement oubliée sans laquelle le cinéma américain contemporain ne serait sans doute pas tout à fait le même.


Jack Nicholson dans Cinq pièces faciles (1970)

Bob Rafelson est né le 21 février 1933 à New York sous le nom de Robert Jay Rafelson dans une famille bourgeoise de Riverside Drive. Destiné à reprendre la fabrique de chapeaux familiale, ce neveu de Samson Raphaelson (dramaturge et scénariste pour Ernst Lubitsch et Alfred Hitchcock) qui a grandi en voyant quatre films par jour tourne résolument le dos à ce destin et se lance dans des études d'anthropologie. Envoyé sous les drapeaux dans le Japon occupé, il se voit affecté dans une station de radio interne où il est chargé de dire le texte des film japonais en anglais pour se faire comprendre de ses compagnons d'armes.  De retour à la vie civile, Rafelson accomplit ses premières armes en tant que producteur associé sur les séries “Le plus grand chapiteau du monde” (1963) et plus tard le téléfilm de James Frawley “Three's a Crowd” (1967). Il se tourne simultanément vers l'écriture en collaborant comme scénariste au téléfilm “The World of Sholom Aleichem” (1959) et à la série “The Witness” (1960-1961), tout en adaptant pour le petit écran des classiques du théâtre dans le cadre de l'émission “Play of The Week” (1960) que diffuse Channel 13. Il part ensuite s'installer avec son épouse et ses deux enfants en Californie où il travaille pour le compte d'une émission appelée “Channing” (1963-1964) que diffuse la filiale télévision d'Universal, jusqu'à ce qu'un différend artistique avec le producteur Lew Wasserman n’entraîne son éviction définitive, en l'incitant à mettre le cap vers de nouveaux horizons et à voler de ses propres ailes.


En 1965, Bob Rafelson monte avec Bert Schneider la société Raybert Productions qui deviendra plus tard BBS lorsqu'ils s'associeront à leur tour avec un troisième partenaire, Steve Blauner. C'est à cette époque que le scénariste et producteur impressionné par les films musicaux de son confrère britannique Richard Lester passe à la réalisation sans véritable expérience préalable avec la série “The Monkees” qui connaît un grand succès populaire, simultanément au groupe pop créé pour l'occasion, et remporte une nomination au Primetime Emmy Award de la meilleure série de comédie en 1967. C'est la chaîne NBC qui diffuse ses 58 épisodes de 24 minutes en deux saisons, de septembre 1966 à mars 1968. La notoriété du phénomène ne résistera toutefois pas au déclin du groupe musical homonyme créé pour l'occasion autour de l'étudiant en architecture Micky Dolenz. Encombré par ce succès populaire dont il entend se détacher une fois pour toutes, Rafelson a alors l'idée de réaliser un film intitulé Head (1968)… autour des Monkees afin de prouver qu'il n'est pas dupe du phénomène qu'il a lui-même engendré. Il en écrit le scénario avec un acteur alors considéré comme un second rôle, Jack Nicholson, lequel peine à s'imposer en vedette après une décennie de seconds rôles. Mais ce coup d'essai cinématographique essuie un sévère échec commercial qui contraint Rafelson à réviser ses ambitions sur le plan artistique, en collant davantage à l'air du temps. Il s'est toutefois trouvé entretemps un interprète fétiche qu'il va contribuer à mener à la gloire.




Son deuxième long métrage s'intitule Cinq pièces faciles (1970). Il s'inscrit quant à lui dans un mouvement cinématographique porté par la contre-culture, contemporain des premiers opus de Paul Mazursky (Bob et Carole et Ted et Alice, 1969), Jerry Schatzberg (Portrait d'une enfant déchue, 1970), Hal Ashby (Le propriétaire, 1970) et quelques autres auxquels se rallieront bientôt des réalisateurs plus chevronnés dont Francis Ford Coppola, Martin Scorsese et Brian de Palma, mais aussi de purs transfuges de la télévision comme Robert Altman, Arthur Penn, John Frankenheimer, Sydney Pollack et Sidney Lumet. Suivra une petite dizaine de longs métrages en l'espace de trois décennies, parmi lesquels The King of Marvin Gardens (1972), Stay Hungry (1976) -qui consacre le culturiste autrichien Arnold Schwarzenegger en tant qu'acteur-, mais aussi une nouvelle version du Facteur sonne toujours deux fois (1980) qui est présentée en compétition au festival de Cannes.

Alors qu'il semble s'être assagi et être rentré dans le rang, Rafelson est renvoyé manu militari du plateau de Brubaker à la suite d'un nouveau différend qui l'a conduit à en venir aux mains avec un responsable de la Twentieth Century Fox. Il se voit remplacé par Stuart Rosenberg, plus malléable, mais souffre d'une réputation sulfureuse. Il consacre toutefois beaucoup de temps à voyager à travers le monde pour se familiariser avec d'autres cultures. Adepte de randonnées dans les Montagnes Rocheuses où il s'est installé, il reviendra tout de même plus tard assagi à la réalisation avec La veuve noire (1987), Aux sources du Nil (1989), Man Trouble (1992), Blood and Wine (1996) et Sans motif apparent (2002). On doit également à Rafelson les courts métrages Modesty (1981), Wet (1994) et Porn.com (2002), le clip de Lionel Richie “All Night Long” (1983), ainsi que l’épisode “Armed Response” de la série “Picture Windows” (1995), le téléfilm “Embrouille à Poodle Springs” (1998) et le documentaire TV “Afterthoughts” (2002) consacré à l'héritage artistique de la société de production BBS.

En qualité de producteur, Rafelson a contribué, parfois sans se voir crédité au générique, à des jalons du cinéma d'auteur parmi lesquels qu'Easy Rider (1969) de Dennis Hopper, La dernière séance (1971) de Peter Bogdanovich, La maman et la putain (1973) de Jean Eustache (à hauteur de trois cent mille dollars dont il ne reverra jamais la couleur !) et le documentaire politique Le cœur et l’esprit (1974) consacré par Peter Davis à la guerre du Vietnam.
Jean-Philippe Guerand





Arnold Schwarzenegger
dans Stay Hungry (1976) de Bob Rafelson

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