Accéder au contenu principal

“Ennio” de Giuseppe Tornatore




Ennio, il maestro Documentaire italien de Giuseppe Tornatore (2022), avec Ennio Morricone, Giuseppe Tornatore, Bernardo Bertolucci, Giuliano Montaldo, Marco Bellocchio, Dario Argento, Paolo Taviani, Vittorio Taviani, Carlo Verdone, Barry Levinson, Roland Joffé… 2h36. Sortie le 6 juillet 2022.



Ennio Morricone



Voici un film totalement atypique dans lequel un réalisateur célèbre un artiste dont il a croisé la route et auquel il rend ce que son aîné lui a donné alors que lui-même débutait dans sa carrière. Entre le réalisateur Giuseppe Tornatore et le compositeur Ennio Morricone, tout a commencé par Cinema Paradiso (1988), une célébration majuscule du cinéma en tant qu’objet amoureux. Il aura tout de même fallu attendre Les moissons du Ciel de Terrence Malick pour que le maestro italien soit reconnu par Hollywood et nommé pour la première fois à l’Oscar… en 1979. Quant à la sacro-sainte statuette, il ne pourra l’étreindre qu’en 2007 en recevant un Oscar d’honneur pour l’ensemble de son œuvre, avant de transformer sa sixième nomination en trophée à part entière avec Les huit salopards de Quentin Tarantino en 2016, à l’âge canonique de 87 ans (un record absolu, toutes catégories confondues, jusqu’au couronnement de James Ivory) et seulement quatre ans avant sa disparition. C’est ce destin singulier que retrace Ennio, documentaire fleuve de plus de deux heures et demie qui suit la destinée singulière d’un musicien novateur passé du classique à la variété qui devra ses plus riches heures à un camarade de primaire perdu de vue, Sergio Leone, en étant associé à l’avènement du western-spaghetti dont il a mis en musique bien des pépites.



Ennio Morricone



Ennio Morricone a contribué à plus d’un demi-millier de films en six décennies de bons et loyaux services. Un héritage considérable dont ce documentaire nous retrace les multiples étapes en s’appuyant sur des archives d’une richesse inestimable et moult témoignages recueillis avec passion par Tornatore. On y suit le parcours cahotique d’un surdoué boulimique qui se frotte avec la même fougue aux élans ésotériques de la musique concrète qu’à la variété la plus populaire et compose sans relâche des partitions extrêmement audacieuses pour les grands maîtres comme pour les artisans obscurs du cinéma du samedi soir. C’est en refusant tout ostracisme que ce musicien passionné a contribué à donner ses lettres de noblesse à la musique de film et à collaborer avec les auteurs les plus pointus, tout en habillant de mélodies audacieuses de purs œuvres de genre, à un rythme dont les pointes atteignent une bonne trentaine de titres par an au plus fort des années 70. Au point de rendre certaines de ses bandes originales plus immortelles que les œuvres pour lesquelles elles ont été composées, à l’instar du fameux western À l’aube de cinquième jour (1970) de Giuliano Montaldo que peu ont vu mais que beaucoup ont entendu, ne serait-ce que parce qu’elle a illustré le générique de l’émission “Italiques” sur des images animées de Folon.



Ennio Morricone et Giuseppe Tornatore



Tout l’intérêt d’Ennio consiste à montrer la disparité d’un musicien qui vivra pour son art jusqu’à son dernier souffle et s’autorisera les aventures les plus diverses. Ce trompettiste de formation refusera toutefois les ponts d’or que lui proposeront les studios hollywoodiens et laissera son vieux complice Clint Eastwood traduire en anglais son discours de remerciement lors de la cérémonie des Oscars de 2007. Crédité de soixante-dix millions de disques vendus, ce boulimique est ici célébré par un film à sa démesure qui abonde d’images d’archive et de témoignages. Tornatore a longuement mûri cet hommage magistral et ça se ressent à chaque instant. Il faut dire qu’il se trouve confronté là à un authentique stakhanoviste qui a consacré sa vie jusqu’à son dernier souffle à chercher comment transcender son art et le sublimer. Au point de signer avec Ennio l’un de ses films les plus aboutis autour de cet amour du cinéma qui irradiait déjà son œuvre maîtresse : Cinéma Paradiso, jamais égalée ni dépassée jusqu’alors. Comme quoi voici un artiste qui ne parvient à se dépasser qu’en mettant son talent au service de sa passion, en l’occurrence ici d’un maestro universel.

Jean-Philippe Guerand




Ennio Morricone

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract