Film hispano-français de Rodrigo Sorogoyen (2022), avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera, Diego Anido, Marie Colomb… 2h17. Sortie le 20 juillet 2022.
Denis Ménochet
Un couple de Français expatrié au fin fond de la communauté espagnole de Galice se heurte à l’hostilité croissante de ses voisins immédiats qui considèrent d’un mauvais œil leurs pratiques écologiques et leur souhait de redonner vie à un village déserté de ses habitants. Jusqu’au moment où la situation atteint un point de non-retour. Le mari disparaît mystérieusement, mais son épouse refuse de se résigner à son absence et décide de s’accrocher à son rêve coûte que coûte. Rodrigo Sorogoyen a le chic pour mettre en scène des intrigues extrêmement bien écrites et en confier chaque rôle à l’interprète idéal. Il l’a démontré avec Que Dios nos perdone (2016), El reino (2018), Madre (2019) et la demi-douzaine de séries qui lui ont permis d’affiner son style.
Luis Zahera et Diego Anido
Présenté cette année à Cannes dans le cadre de la section Un certain regard, As bestas se caractérise une fois de plus par un sens du tempo infaillible et un casting impeccable qui repose sur l’opposition de la famille idéale formée par Marina Foïs et Denis Ménochet, puis Marie Colomb, avec les “bouseux” bas de plafond que campent Luis Zahera et Diego Anido. La peinture sociale y cède peu à peu la place à une étude de mœurs à haute tension qui ne ménage vraiment aucun de ses protagonistes. À son habitude, tout l’art de Sorogoyen consiste à imposer un tempo implacable et à s’y tenir malgré les aléas d’un scénario qui va lui-même crescendo et dont la tonalité n’est pas sans évoquer celle de deux classiques américains des années 70 : Les chiens de paille de Sam Peckinpah et Délivrance de John Boorman, par sa détermination implacable et son opposition frontale entre des écolo idéalistes et des “rednecks” passablement arriérés.
Tout l’art de Sorogoyen consiste à faire monter la tension à un rythme soutenu jusqu’à créer un antagonisme irréversible entre des autochtones xénophobes et des envahisseurs venus d’ailleurs qui les renvoient à leur médiocrité endémique. Le réalisateur espagnol excelle à faire monter la pression jusqu’au point de non-retour, sans s’appuyer pour autant sur une intrigue policière à proprement parler. Le film repose pour une bonne part sur le contraste des corps entre le colosse qu’incarne Denis Ménochet et son épouse fluette que campe Marina Foïs, mais aussi les deux frères qui les harcèlent et les provoquent sans relâche jusqu'au point de non retour. La mécanique scénaristique s’avère implacable et témoigne de la virtuosité d’un metteur en scène passé maître dans l’art d’orchestrer un suspense implacable, sans céder aux effets de mode. Chez lui, un plan séquence prend son temps quand c'est nécessaire. L’esthétique d’As bestas est purement cinématographique et ne doit absolument rien à la loi des séries calibrées dont nous submergent les sites de streaming. La fonction dévolue à la psychologie y reste prépondérante et contribue à nourrir une tension qui va crescendo et confirme le sens du tempo exceptionnel de Sorogoyen, cinéaste espagnol atypique qui ne cherche à se rattacher à aucune école particulière mais joue à merveille de toutes les composantes du cinéma sans la moindre esbroufe inutile. Comme le serviteur zélé d’un art dont il maîtrise toutes les composantes à merveille.
Jean-Philippe Guerand
Marina Foïs et Marie Colomb
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