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“After Yang” de Kogonada



Film américain de Kogonada (2021), avec Colin Farrell, Jodie Turner-Smith, Malea Emma Tjandrawidjaja, Justin H. Min, Orlagh Cassidy, Ritchie Coster, Sarita Choudhury, Clifton Collins Jr., Ava de Mary… 1h36. Sortie le 6 juillet 2022.



Colin Farrell, Emma Tjandrawidjaja

Jodie Turner-Smith et Justin H. Min



L’époque est décidément aux robots. Après I’m Your Man de Maria Schrader et L’homme parfait de Xavier Durringer qui s’attachaient à usage d’un être de synthèse pour colmater artificiellement des failles béantes de la nature humaine, avec une implication plus ou moins grande, After Yang prend en quelque sorte le contre-pied de ce postulat. Situé dans un proche avenir indéterminé, le film de Kogonada s’attache en effet à l’absence et au manque qu’engendre la défaillance soudaine d’un auxiliaire de vie devenu le membre à part entière d’une famille unie. Intrusion de l’affect vis à vis d’un androïde a priori dépourvu de conscience qui a réussi à s’intégrer parmi des humains au point d’inciter spontanément son foyer d’accueil à passer outre sa nature et à le considérer comme l’un des siens en refusant de se résoudre à considérer sa disparition comme une vulgaire panne système irréparable afin de lui réserver le rituel que suscitent nos plus chers disparus. Cette comédie de mœurs s’attache à la puissance des sentiments face à une déshumanisation annoncée à tort comme inéluctable. Elle n’a pas besoin de s’appesantir à cet effet sur les relations intimes qui se sont nouées entre la gamine et l’être de synthèse qui en a assumé la charge. Le film choisit en effet l’alternative qui consiste à s’attacher aux conséquences de cette complicité devenue une affection profonde. Comme pour souligner que les sentiments demeurent les plus forts.



Colin Farrell et Jodie Turner-Smith



After Yang est une fable philosophique ambitieuse qui prend le contre-pied de la plupart des films des science-fiction, en tablant sur le fait que rien ne pourra jamais égaler la nature humaine en termes d’affect et d’affection. C’est aux conséquences d’une absence que s’attache cette méditation philosophique et au fait que l’attachement conditionne aussi le manque éventuel. Kogonada choisit pour cela un registre rarement abordé par la science-fiction traditionnelle, en décrivant les relations humaines comme hermétiques aux progrès présentés comme les plus novateurs. Sa fonction de nounou confère à Yang une importance particulière qui se révèle indissociable des relations qu’il instaure avec la gamine sur laquelle il est chargé de veiller et qui ne peut s’achever par une vulgaire erreur système et un remplacement standard par un androïde de substitution, présenté évidemment comme encore plus performant. Son patronyme asiatique apparaît d’ailleurs comme la projection du fantasme de la gamine adoptive qui l’a baptisé d’un nom évocateur de sa propre identité d’origine. After Yang apparaît en cela comme une sorte de prophétie mélancolique sur un avenir qu’aucun progrès technologique ne réussira à soustraire à sa fragilité humaine. C’est une bonne nouvelle du futur, en quelque sorte.

Jean-Philippe Guerand






Colin Farrell, Jodie Turner-Smith et Justin H. Min

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