Земля блакитна, ніби апельсин Documentaire ukraino-lituanien d’Irina Tsilyk (2020), avec Anna Gladka, Myroslava Trofymchouk, Anastasia Trofymchouk, Vladyslav Trofymchouk, Stanislav Gladky, Olena Gladka, Olga Gladka, Danylo Dydenko… 1h14. Sortie le 8 juin 2022.
“ La Terre est bleue comme une orange. ” Cette célèbre citation du lyrique Paul Eluard extraite du septième poème du premier chapitre du recueil “L'amour la poésie” exprime mieux que des discours interminables combien la fantaisie et l’imagination ont parfois la capacité de changer le monde, sans la moindre débauche de moyens à l'appui. La documentariste ukrainienne Irina Tsilyk y évoque le quotidien d’une famille du Donbass en guerre dont les enfants décident de répondre au fracas des armes par l’usage d’une caméra et de répliquer à la tragédie ambiante en tournant en famille un court métrage de fiction dans ce contexte à très haut risque. Ce film dans le film donne à la démarche de la réalisatrice un supplément d’âme fort inattendu que n'ont fait qu'accentuer les événements survenus, en validant sa démarche singulière comme une parabole magistrale autour de la folie du monde. En effet, à l’époque du tournage de The Earth is Blue as an Orange, la guerre restait encore localisée au Nord-Est de l’Ukraine, dans une région russophone qui revendiquait son identité par les armes et refusait d’endurer l’annexion arbitraire subie par la Crimée dans l’indifférence de l’opinion publique internationale. L’invasion de l’Ukraine par la Russie survenue en février dernier a contribué à donner à ce film une profondeur accrue, tant son propos se révèle universel et constitue un acte de résistance authentique.
Sous l’égide d’une mère omniprésente, cette famille de Krasnohorivka, à quelques kilomètres du front, se serre les coudes et trouve dans le cinéma un véritable exutoire. Au point de ne plus entendre le fracas des bombes lorsqu’elle regarde un film à la télévision ou de faire abstraction de la réalité environnante lorsqu’elle s’unit pour créer une fiction dans un monde où la réalité dépasse les fictions les plus folles et tord le cou à l'imagination sinon à l'imaginaire. À travers ce microcosme familial qui résiste à sa manière au fracas d’une guerre toute proche, Iryna Tsilyk témoigne de la capacité de survie d’un groupe qui se réfugie dans la création au point de ne plus entendre les bombes dont la caméra enregistre les explosions incessantes. Ce spécimen du fameux cinéma du réel s’avère d’une intensité émotionnelle hors du commun, pour une bonne part grâce à la détermination de ses protagonistes unis contre l’adversité : une mère protectrice au caractère bien trempé et ses enfants animés par leur volonté d’ériger la réalisation de leur modeste court métrage comme un rempart artistique dérisoire contre une innocence pervertie par une guerre qui n'est pas la leur. Par la singularité de sa démarche artistique et la personnalité de ses protagonistes déterminés, The Earth is Blue as an Orange ne peut que s’inscrire dans la durée comme un témoignage universel sur la puissance de l’art comme acte de résistance. Et les événements actuels ne peuvent qu’accroître cette sensation qu’aucun scénario fabriqué ne serait parvenu à imposer avec une telle évidence.
Jean-Philippe Guerand
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