The Racer Film irlando-luxembourgo-belgique de Kieron J. Walsh (2019), avec Louis Talpe, Matteo Simoni, Tara Lee, Iain Glen, Karel Roden, Paul Robert, Molly McCann, Lalor Roddy… 1h35. Sortie le 29 juin 2022.
Louis Talpe
Le cyclisme a longtemps pâti d’un déficit de représentation au cinéma. Au pays de la petite reine, de Paris-Roubaix et du Tour de France, cette exception constituait une étrange anomalie qu’a encore accentuée un projet longtemps évoqué mais jamais mené à son terme : The Yellow Jersey qu’aurait dû réaliser Michael Cimino à une époque où le cinéma américain avait produit La bande des quatre (1979) de Peter Yates et Le prix de l’exploit (1985) de John Badham. Les forçats du deux-roues n’avaient guère brillé jusqu’alors que dans quelques tentatives sporadiques rarement couronnées d’estime voire de succès, du Roi de la pédale (1925) et Hardi les gars ! (1931) de Maurice Champreux aux Rivaux de la piste (1932) de Serge de Poligny, Pour le maillot jaune (1939) et Cinq tulipes rouges (1948) de Jean Stelli, jusqu’aux Cracks (1968) d’Alex Joffé, en passant par le film d’animation Les triplettes de Belleville (2003) de Sylvain Chomet, lui-même sous l’influence de l’immortel Jour de fête (1949) de Jacques Tati. Le rythme s’est ensuite accéléré avec Le vélo de Ghislain Lambert (2001) de Philippe Harel, La grande boucle (2013) de Laurent Tuel, puis sur un registre moins glorieux avec La petite reine (2014) d’Alexis Durand-Brault The Program (2015) de Stephen Frears et aujourd’hui L’équipier qui s‘attachent au côté le plus obscur de ce sport : le dopage.
Louis Talpe et Tara Lee
Le film de Kieron J. Walsh s’attache à un “lièvre”, cycliste chevronné chargé de tracer la route du champion de son équipe, quitte à se sacrifier à l’approche de la ligne d’arrivée. L’action se déroule pendant le prologue en Irlande du Tour de France 1998 et suit le conditionnement de ce sportif condamné à se surpasser pour assurer le triomphe d’un autre. Une tâche d’autant plus ingrate qu’elle s’accompagne d’un régime draconien qui intègre l’ingestion de substances illicites et une stratégie savamment étudiée. C’est cette organisation de choc que décrypte L’équipier, en explorant les pratiques illicites d’un sport inhumain qui transforme ses adeptes en bêtes de somme et les astreint à des cadences infernales et à une discipline qui doit moins à leurs capacités physiques et à leurs compétences sportives qu’à des plans de campagne élaborés par les directeurs d’équipe à grands renforts d’artifices technologiques et chimiques plus ou moins contestables sinon dangereux. Dès lors, l’entraînement n’est guère plus qu’un bonus escamotable destiné à satisfaire la mythologie écornée de cet authentique sport de combat devenu inhumain. Le personnage principal de ce coureur sur le retour entraîné dans une spirale sans issue est magnifiquement incarné par l’acteur belge Louis Talpe, avec la retenue qui s’impose à ce forçat de l'ombre assigné à ronger sans frein dans l’ombre des champions dont il est devenu le faire-valoir malgré lui. Avec le lot d’humiliations que suppose cette fonction subalterne et le danger physiologique que suppose le dopage à outrance. Le constat sportif est amer, le film passionnant par sa profondeur humaine.
Jean-Philippe Guerand
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