Documentaire français de Romy Trajman et Anaïs Straumann-Lévy (2021), avec Romy Trajman, Denise Cohen, Marielle Sade, Gary Trajman, Jakob Trajman, Paul Trajman… 1h23. Sortie le 22 juin 2022.
Romy Trajman et Gary Trajman
La notion de cinéma du réel est devenu aujourd’hui un véritable no man’s land entre la fiction et le documentaire qui s’aventure désormais sur des territoires encore en friche. Derrière Le divorce de mes marrants, dont le jeu de mots puéril souligne fort à propos le caractère fantasque, se cache l’une de ces œuvres hybrides dont l’épicentre demeure une irrésistible vérité des êtres et des situations. Soucieuse de trouver sa propre place dans le monde, la réalisatrice Romy Trajman s’y livre à un exercice ô combien périlleux, en questionnant ses parents sur les causes véritables de leur séparation. Alors que sa mère jette un regard sans pitié sur ce passé qu’elle a fui, son père apparaît plus fragile. Il a été diagnostiqué bipolaire, donc passablement irresponsable de l’enfer qu’était devenue la vie du couple, mais distille quelques bribes de vérité qui témoignent d’éclairs de lucidité au beau milieu d’une confusion qui le dépasse allègrement en le désignant comme le maillon faible. À la fois juge et parti, Romy laisse à sa coréalisatrice Anaïs Straumann-Lévy le soin de filmer ces confessions intimes, assorties par ailleurs de quelques numéros de comédie musicale qui ménagent des aires de respirations bienvenues au sein de ce drame psychologique aux allures de psychanalyse sauvage.
Romy Trajman et Gary Trajman
Sous ses dehors insolites voire parfois un peu narcissique, ce film s’impose autant par sa gravité que par sa liberté et sa fantaisie. Le cinéma y est pour Romy Trajman un confessionnal parfois impudique qui suscite çà et là des éclats de rire et des crises de larmes. Peut-être parce que ses protagonistes sont issus du milieu juif ashkénaze de Bruxelles, Le divorce de mes marrants distille quelques moments de grâce et d’humour qui ne sont pas sans évoquer les premiers films de Woody Allen, tant ses protagonistes jouent le jeu. Il émane de cette tranche de vie parfois saignante une authenticité qui doit moins au calcul des réalisatrices qu’à la sincérité de ses protagonistes. La caméra fonctionne ici comme un véritable scalpel qui incite certains des intervenants, notamment les plus âgés, à formaliser des états de fait et des situations que la bonne société d’hier préférait dissimuler sous le tapis comme des secrets de famille indignes d’être évoqués. Le contraste s’avère en cela saisissant entre le constat clinique émis par la mère, qui est une femme d’affaires de renom, et les propos plus confus mais sincères du père en proie à une psychose maniaco-dépressive sous laquelle affleure une souffrance poignante. C’est en cela que le miroir que nous tend ce film est unique. Ce jeu de la vérité vaut toutes les séances de psychanalyse.
Jean-Philippe Guerand
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