Mishehu Yohav Mishehu Film israélien de Hadas Ben Aroya (2021), avec Elisheva Weil, Leib Lev Lenin, Yoav Hait, Hadar Katz… 1h30. Sortie le 8 juin 2022.
Elisheva Weil
Le cinéma israélien nous a habitués à choquer, notamment lorsqu'il s’agit d’affaires de mœurs. All Eyes off Me s’inscrit dans cette veine périlleuse de la chronique intime la plus âpre. Un soir à Tel Aviv, Danny part à la recherche de Max pour lui annoncer qu’elle est enceinte de lui. Mais le futur père enivré par ses sens vient tout juste de se lancer dans une relation avec Avishag qui est bien décidée quant à elle à le pousser dans ses ultimes retranchements sur le plan sexuel… même si elle a déjà une autre idée derrière la tête. Cette trame est pour Hadas Ben Aroya l’occasion de dresser le portrait d’une jeune femme moderne à travers le point de vue de ses partenaires successifs. La réalisatrice, qui a elle-même débuté en tant qu’actrice, a choisi d’en confier le rôle principal à l’une de ses meilleures amies qu’elle a décidé d’impliquer dès le stade de l’écriture. Cette complicité féminine crève l’écran et passe par une rare audace dans le traitement de l’amour physique qui relève moins de la pornographie ou de l’érotisme que d’une sensualité débridée. La réalisatrice affirme ainsi un point de vue singulier, en montrant une femme libre de son corps dans une société pas toujours prête à accepter cet affranchissement ni cette promiscuité.
Justement primée au festival de Jérusalem pour sa composition intense, Elisheva Weil incarne avec autant de grâce que de détermination cette femme libre qui n’a cure du regard des autres. Avec ce deuxième film d’une maîtrise qui force le respect, après People That Are Not Me (2016) qui avait notamment été présenté au festival du film de femmes de Créteil, Hadas Ben Aroya se place parmi les espoirs les plus prometteurs du cinéma israélien, en imposant un regard franc et direct qui traduit la détermination de son sexe autant que du mouvement #MeToo. Découpé en trois parties distinctes qui se répondent par l’intermédiaire de leurs protagonistes, All Eyes off Me est le portrait saisissant d’une génération de femmes qui n’entend pas se soumettre aux conventions sociales et place la liberté au-dessus de tout. Si la notion de cinéma féminin, et dans une certaine mesure féministe, possède un sens, c’est dans un film tel que celui-là qu’elle s’exprime avec le plus de justesse et de vigueur. Notamment grâce à des interprètes habités par leurs rôles qui revendiquent un droit à l’insouciance et à la jouissance proche de celui pour lequel militait un certain cinéma des années 70. Ce film sensuel et libre n’hésite jamais à séduire pour convaincre… ce qui lui sera sans doute beaucoup reproché par celles et ceux que son propos viendrait à heurter. Qu’il semble loin le temps où le plaisir était une revendication aussi sensuelle que politique !
Jean-Philippe Guerand
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