Crimes of the Future Film gréco-canadien de David Cronenberg (2021), avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart, Welket Bungué, Scott Speedman, Don McKellar, Lili Kornowski, Tanaya Beatty… 1h47. Sortie le 25 mai 2022.
Dans un futur indéterminé, la chirurgie permet à l’homme de procéder à des atteintes extrêmes à son corps, quitte à transformer ses métamorphoses biologiques en la plus improbable des œuvres artistiques. Un couple qui a érigé cette pratique en happening artistique permanent se trouve sollicité par des spectateurs fascinés par ses spectacles d’avant-garde. Au point que certains d’entre eux cherchent à les instrumentaliser en détournant leur performance pour en faire un outil de propagande et attirent ainsi l’attention d’une enquêtrice du Bureau du registre national des organes qu’on jurerait sortie d’un bureau imaginé par Kafka. Les crimes du futur est un projet vieux d’une vingtaine d’années et homonyme d’une des œuvres de jeunesse de David Cronenberg qui y revient au genre qui l’a rendu célèbre dans les années 70, la science-fiction, et à l’un de ses thèmes de prédilection, les atteintes au corps humain déjà au cœur d’un film comme Crash. Un domaine dans lequel la réalité a parfois rattrapé la fiction au cours des dernières années, sous l’effet des apprentis-sorciers de la chirurgie esthétique et de la banalisation de la transsexualité qui a flouté la notion même de genre en bouleversant la donne.
Les crimes du futur est une sorte d’anthologie cronenbergienne raisonnée dans laquelle le réalisateur canadien brasse l’intégralité de ses thèmes de prédilection, sans jamais donner à son film l’aspect d’un catalogue. Cette méditation mélancolique installe un rythme très sage, en s’efforçant de nous transporter dans une autre dimension qui doit beaucoup aux décors urbains de la Grèce contemporaine d’après la crise. Une décadence urbaine qui convient idéalement à un propos sur un futur glauque où l’humanité se terre, mais n’a nul besoin de l’intervention d’extra-terrestres pour survivre dans une atmosphère interlope. Cronenberg enrobe son propos d’une esthétique crasseuse éclairée au néon en choisissant pour l’habiter des comédiens qu’il pousse à sortir de leur zone de confort, à commencer par Viggo Mortensen, l’un de ses interprètes de prédilection, ici en tandem avec Léa Seydoux, toujours guidée par sa fascination pour les auteurs qui le lui rendent de mieux en mieux, et Kristen Stewart dans un contre-emploi en faux-semblants pour lequel elle a adopté une diction délibérément décalée. Visionnaire talentueux, Cronenberg évite toute surenchère et préfère comme souvent nous entraîner dans un monde à part dont il plante le décor sans précipitation. D’où la sensation de malaise grandissant qui se dégage de cette invitation au voyage aux élans fulgurants.
Jean-Philippe Guerand
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