Film germano-franco-italien de Michelangelo Frammartino (2021), avec Paolo Cossi, Jacopo Elia, Denise Trombin, Mila Costi, Angelo Spadaro, Clauda Candusso, Carlos José Crespo… 1h33. Sortie le 4 mai 2022.
Michelangelo Frammartino appartient à cette nouvelle génération du cinéma italien qui a digéré l’exemple des grands anciens que furent Roberto Rossellini, Ermanno Olmi et les frères Taviani, en optant pour un cinéma du réel où la frontière entre fiction et documentaire s’avère de plus en plus ténue. Il interroge l’Italie d’hier pour mieux décrypter celle d’aujourd’hui. C’est à nouveau le cas dans Il buco où il met en parallèle la vie quotidienne des paysans de Calabre avec l’expédition d’un groupe de spéléologues turinois pour explorer un gouffre niché au milieu des champs. Une histoire quasiment sans paroles qui n’a d’ailleurs besoin d’aucune explication pour nous transporter dans un autre monde. Ce début des années 60 où à quelques semaines d’intervalle l’URSS envoie le premier homme dans l’espace, où un alpiniste italien conquiert le Mont Blanc par la voie classique et où un groupe de jeunes gens piémontais s’aventurent dans les tréfonds de la terre. C’est dans ce monde qui va à la fois toujours plus haut et toujours plus bas, en réalisant les rêves les plus fous de Jules Verne, que se situe Il buco. Comme à une frontière ténue entre hier et demain qui reflète avec une grande justesse l’Italie de l’époque et ses contrastes saisissants entre un Nord industrialisé et un Sud agraire.
Il buco emprunte le ton de la chronique pour esquisser les contours d’un monde qui semble immuable en surface, à l’instar de ce berger vieillissant qui mène son troupeau au champ, tandis que de mystérieux envahisseurs s’introduisent dans une faille qui troue le gazon. La coexistence de ces deux mondes peut donner lieu à bien des extrapolations. Sa puissance symbolique confère à ce lieu un relief particulier, en confrontant sa vie quotidienne séculaire à ses entrailles jusqu’alors inexplorées. Comme si l’humain avait besoin de mieux apprivoiser sa planète, sans se contenter de sa partie émergée. Humaniste profondément marqué par ses études d’architecture, le réalisateur de Le quattro volte (2010) y sème des petits cailloux blancs de nature à susciter la plus abyssale des réflexions philosophiques. À commencer par les premières images d’actualités qui s’attachent à l’édification de la plus haute tour du pays, symbole d’une prospérité historique retrouvée quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Prix du jury à la Mostra de Venise, cette immersion impressionniste nous interroge avec sensibilité sur notre capacité à explorer le monde qui nous entoure comme expression dérisoire d’une vanité sans limites.
Jean-Philippe Guerand
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