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“Évolution” de Kornél Mundruczó et Kata Wéber



Film germano-hongrois de Kornél Mundruczó et Kata Wéber (2021), avec Lili Monori, Annamária Láng, Goya Rego, Padmé Hamdemir, Harlad Kolaas, Erik Major, László Katona, Danielle Celeste Brown… 1h37. Sortie le 18 mai 2022.



Padmé Hamdemir et Goya Rego



Virtuose de la mise en scène, Kornél Mundruczó signe avec Évolution un nouveau tour de force auquel il a tenu à associer étroitement sa scénariste Kata Wéber avec laquelle il fait équipe depuis White God et a signé récemment le magistral Pieces of a Woman primé à Venise et diffusé sur Netflix. Parce qu’il a déjà dirigé lui-même à la scène ce triptyque sur la musique du “Requiem” de Ligeti, le metteur en scène lui a trouvé naturellement des équivalences cinématographiques. Il raconte ainsi trois histoires gigognes dont les deux premières s’inspirent du vécu de la propre mère de sa scénariste afin de résumer l’existence d’une femme hongroise née miraculeusement dans un camp d’extermination qui a passé toute son existence dans la hantise des résurgences de l’antisémitisme. Le discours qui tend à établir un parallèle entre l’Allemagne nazie et la Hongrie contemporaine dirigée par le populiste Viktor Orbán témoigne de l’engagement politique profond du tandem qui a décidé simultanément de partir s’installer à Berlin afin de pouvoir continuer à s’exprimer librement et d’échapper à l’étouffement du cinéma hongrois par un régime populiste qui entend privilégier son potentiel commercial au détriment de son caractère artistique.



Lili Monori et Annamária Láng



Le premier sketch est un tour de force comme les affectionne le réalisateur virtuose si souvent célébré à Cannes. Il se déroule dans un camp de concentration libéré par l’Armée Rouge où se produit un miracle : la survie miraculeuse d’un nouveau-né au cœur de l’enfer. Une histoire sans paroles que Mundruczó transcende par sa mise en scène oppressante, le temps d’un tour de force en plan-séquence qui s’achève lorsque les personnages sortent enfin à l’air libre. La suite se déroule dans un appartement berlinois où le bébé devenu une vieille dame exprime sa hantise face aux résurgences contemporaine de l’antisémitisme. La comédienne Lili Monori, qui fut naguère l’une des interprètes fétiches de la cinéaste Márta Mészáros, livre une composition prodigieuse dans ce rôle complexe et volubile pour lequel la scénariste s’est largement inspirée de sa propre mère. Le dernier sketch s’attache enfin à un lycéen qui porte l’espoir d’une rédemption collective assortie d’un changement salubre des mentalités, non pas par un effacement de la mémoire mais par un nouveau départ. Avec ce fil rouge qui consiste à souligner à quel point nous sommes conditionnés sinon traumatisés, consciemment ou non, par l’histoire de ceux qui nous ont précédés. Le propos est universel, le récit magistral et sa mise en scène implacable. C’est souvent à ces caractéristiques qu’on reconnaît les grands films. Évolution en est un par la multiplicité souterraine de ses niveaux de lecture.

Jean-Philippe Guerand





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