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“Don Juan” de Serge Bozon



Film français de Serge Bozon (2022), avec Tahar Rahim, Virginie Efira, Alain Chamfort, Damien Chapelle, Jehnny Beth… 1h40. Sortie le 23 mai 2022.



Tahar Rahim



C’est la tragédie d’un séducteur qui se voit renvoyé à sa solitude par les conquêtes qui déclinent ses avances et le confrontent à sa condition. Le Don Juan de Serge Bozon est un homme désarmé qui peine à remplir sa fonction. C’est une sorte de cousin égaré du Casanova de Fellini. Non pas qu’il soit ridicule, mais simplement impuissant à user de son charme pour faire succomber une femme aux multiples visages qu’incarne une seule et même comédienne : Virginie Efira dans le rôle écrasant et polymorphe de ce qu’on a tendance à nommer l’éternel féminin. Face à elle, le séduisant Tahar Rahim n’a que ses yeux pour pleurer et sa voix pour chanter le spleen du bel impuissant. Jamais tout à fait là où on l’attend, Serge Bozon aime tordre le cou aux mythes et subvertir les genres par son ironie matinée d’insolence, mais toujours en tout bien tout honneur. Pour la beauté de l’exercice et par pur esprit de subversion. Molière a beau être crédité au scénario, celui-ci est plus caractéristique de la modernité chic affichée par Serge Bozon et sa partenaire de prédilection, Axelle Ropert.



Virginie Efira



Don Juan est une tragédie musicale crépusculaire dont le séducteur impuissant ne réussit à exprimer que la solitude du mâle à l’ère de #MeToo, quand le moindre de ses gestes risque de donner lieu à une interprétation erronée. Jusqu’alors adepte de la pop, Serge Bozon s’aventure cette fois du côté d’une musique pas vraiment identifiée qui utilise des instruments traditionnels du classique pour investir un registre non identifié où les paroles expriment les tourments de l’arroseur arrosé, cet homme qui perd son âme lorsque son charme cesse d’opérer. Le film semble sonner le glas d’un des archétypes les plus éternels du cinéma : le séducteur. C’est même sa limite, car quand Don Juan perd sa seule raison d’être, c’est l’amour qui s’évanouit. Et ce n’est pas Alain Chamfort en statue du commandeur qui s’avèrera capable d’enrayer la marche inéluctable du temps. Voici un film funèbre qui s’inscrit à ce point  dans son époque qu’il risque bien de se démoder très rapidement au contact d’un effet de réalité implacable, de circonstance davantage que de raison.

Jean-Philippe Guerand







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