Wela Film singapouro-hollando-franco-thaïlandais de Jakrawal Nilthamrong (2021), avec Thaveeratana Leelanuja, Prapamonton Eiamchan, Sorabodee Changsiri, Wanlop Rungkumjad, Nopachai Jayanama, Paopoom Chiwarak, Rawipa Srisanguan, Witwisit Hiranyawongkul… 1h58. Sortie le 4 mai 2022.
Sorabodee Changsiri et Thaveeratana Leelanuja
On résume volontiers le cinéma thaïlandais à un nom : celui d’Apichatpong Weerasethakul, lauréat de la Palme d’or du festival de Cannes en 2010 pour Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures). Anatomy of Time arrive à point nommé pour nous faire connaître l’un de ses compatriotes en la personne de Jakrawal Nilthamrong. Avec pour point commun une fascination pour la mémoire et l’écoulement du temps. Il évoque dans ce film gigogne la vie en vrac d’une fille d'horloger qui a sacrifié un modeste conducteur de pousse-pousse à un officier ambitieux sous la dictature des années 60 et se retrouve six décennies plus tard à veiller le vieux militaire acariâtre en disgrâce, avec pour seul réconfort les souvenirs erratiques de cette liaison. Comme son titre l’indique assez justement, ce film contemplatif s’articule sur les aléas de la mémoire et ces souvenirs qui finissent par en effacer d’autres en recomposant arbitrairement une vérité parfois approximative. Il n’est pas nécessaire de connaître l’histoire de la Thaïlande pour apprécier les acrobaties temporelles auxquelles se livre le metteur en scène. Elles ne constituent que l’habillage d’une histoire d’amour au fond assez universelle et du sacrifice d’une femme pour celui qui deviendra l’homme de sa vie et le fil rouge de sa mémoire.
Prapamonton Eiamchan
Bien qu’Anatomy of Time ne soit que le deuxième long métrage de son réalisateur, l’édition simultanée en vidéo du précédent, Vanishing Point (2015), nous permet de constater à quel point son itinéraire cinématographique s’avère déjà d'une cohérence exemplaire. Sa mise en scène, délibérément en communion avec une nature luxuriante comme il est d'usage dans cette partie de l’Asie, s’appuie sur un émiettement du temps et une fragmentation subtile de la chronologie qui ont pu faire avancer à certains observateurs le terme de puzzle. À cette réserve près que toutes les pièces ne s’imbriquent pas nécessairement les unes dans les autres et qu’il prend soin de ménager des zones d’ombre comme la mémoire en a le secret. Il choisit par ailleurs dans son nouveau film de confronter deux époques extrêmes : celle de la jeunesse où la femme exprime son romantisme et l’homme son ambition, et celle de la vieillesse où la tendresse a remplacé la passion et où le mâle dominant n’est plus qu’un gisant inanimé qui dépend intégralement des soins qu’elle lui prodigue. Une posture dont le metteur en scène affirme qu’elle lui a été inspirée par une décennie au cours de laquelle il a observé sa mère veillant sans relâche sur son père. Avec pour corollaire une méditation cruelle sur les ravages de l’âge.
Jean-Philippe Guerand
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