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“Qui à part nous” de Jonás Trueba



Quién lo impide Documentaire espagnol de Jonás Trueba (2021), avec Candela Recio, Pablo Hoyos, Silvio Aguilar, Pablo Gavira, Claudia Navarro, Rony-Michelle Pinzaru, Sancho Raviérez… 3h40. Sortie le 20 avril 2022.



Pablo Hoyos et Rony-Michelle Pinzaru


Révélé l’été dernier par Eva en août, errance alanguie d’une femme madrilène au moment où sa ville est envahie par les touristes, Jonás Trueba (fils du réalisateur cinéphile de L’oubli que nous serons) signait là son sixième long métrage, mais le premier distribué en France. Il revient aujourd’hui avec un projet documentaire d’une toute autre ampleur qui ambitionne de d’établir le portrait d’une génération sur le point de basculer dans la grande incertitude de l’âge adulte. Un témoignage collectif saisissant qui suit une poignée de lycéens entre 2016 et la sortie de la pandémie de Covid-19. Lorsque cette mosaïque se met en place, il nous donne à voir et à entendre des adolescents confrontés aux problématiques de leur âge : l’amitié, l’amour, les études, la musique, l’écologie et surtout la peur de l’avenir. Le réalisateur ne se contente pas de constater, il finit par se rendre invisible au point que ces jeunes gens en viennent à nous donner à partager des moments plus intimes, sans indécence ni voyeurisme. Phénomène rarissime, Trueba établit une telle complicité avec ses sujets qu’il obtient d’eux des moments précieux qu’on jurerait extraits d’une œuvre de fiction. Miraculeuse invisibilité qui nous vaut des morceaux de vie rares et traduit une empathie hors du commun où chacun trouvera son bonheur, en s’identifiant à l’un ou à l’autre de ces adulescents à l’âge des possibles confrontés à des choix qui les dépassent parfois.



Sancho Raviérez, Candela Recio et Claudia Navarro



La démarche de Jonás Trueba s’inspire du concept de la “mise en situation” théorisé par le documentariste José Luis Guerín, surtout connu en France pour son film En construction (2001), qui consiste à faire réagir ses protagonistes en fonction de certaines situations. Une méthode qui culmine ici dans les rapports intimes qu’établissent certains d’entre eux, sans que le public se trouve en mesure de distinguer ce qui est vécu de ce qui est joué. Cette méthode instaure une rare empathie entre ces jeunes gens et le spectateur et justifie à elle seule la durée de cette fresque émaillée de choses vues. Le cinéaste ne se contente pas de regarder vivre cette jeunesse bouillonnante dont la rage s’exprime sur scène. Il s’identifie à eux en projetant son propre vécu et en trouvant un écho à ses doutes et ses interrogations de jeunesse. Une empathie qui gagne également le spectateur et l’intègre d’une certaine façon à ce maelström d’impressions et de sentiments. Sensation rare qui confirme l’importance de Trueba Junior parmi la génération montante du cinéma ibérique, sur un registre très éloigné de celui qui a inspiré son père. Avec en prime une sorte de postface “en distanciel” où les nouvelles pratiques de communication audiovisuelle imposées par la pandémie renouent les fils distendus de cette jeunesse rudement éprouvée par un confinement en forme d’épreuve initiatique imposée. C’est en cela que Qui à part nous nous tend un miroir qui réfléchit à tous les sens du terme et inscrit cette génération dans son époque aux yeux de la postérité.

Jean-Philippe Guerand






Pablo Gavira et Candela Recio

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