Film croato-slovéno-brésilo-américain d’Antoneta Alamat Kusijanović (2021), avec Gracija Filipović, Danica Ćurčić, Leon Lučev, Cliff Curtis, Jonas Smulders, Klara Mucci… 1h36. Sortie le 20 avril 2022.
Leon Lučev et Gracija Filipović
Caméra d’or au dernier festival de Cannes, Murina s’attache à la révolte d’une jeune fille victime de l’autoritarisme de son père, avec qui elle va chasser la murène. Une existence dont la promiscuité l'étouffe. Jusqu'au moment où elle voit dans la visite d’un ami fortuné de sa famille l’opportunité d’échapper à ce milieu anxiogène et de voler enfin de ses propres ailes, en quittant enfin cette île croate de l’archipel des Kornati au large de la côte dalmate dont le cadre paradisiaque l’étouffe en l’empêchant de jouir pleinement de sa jeunesse. Parmi les producteurs de ce film figure un nom prestigieux, celui du réalisateur américain Martin Scorsese qui a su reconnaître d’emblée en Antoneta Alamat Kusijanović une cinéaste prometteuse. Impression confirmée par les trophées que le film a accumulés dans les festivals internationaux. La réalisatrice y raconte sur le ton de la chronique la révolte d’une jeune femme en lutte contre la condition réservée à son sexe dans un milieu crispé sur des positions d’un autre âge dont une phallocratie séculaire. Une réaction générationnelle épidermique avec laquelle contraste singulièrement la complaisance de sa mère qui illustre cette soumission, mais tente de jouer les médiatrices sans pouvoir donner tort à sa fille dont elle admire le passage à l’acte parce qu’il témoigne d’une émancipation dont elle se reproche sans doute d’avoir été incapable.
Gracija Filipović et Danica Ćurčić
Murina est un film magnifique qui repose pour une bonne part sur la personnalité de son interprète principale, Gracija Filipović, diane chasseresse qui erre en monokini dans cet enfer aux allures paradisiaques. La séquence d’ouverture donne le ton du film à travers une partie de chasse sous-marine au cours de laquelle le père se montre particulièrement entreprenant auprès de celle dont on ignore encore qu’elle est sa propre fille et non sa compagne. Une situation qui s’inscrit visiblement parmi leurs relations coutumières, qu’on pourrait qualifier de déplacées, mais qui traduit surtout un profond malaise sans toutefois choquer personne parmi leur entourage. C’est contre ce machisme ordinaire que s’élève ce film plus féminin que féministe, à travers une mise en cause de fonctionnements immémoriaux toxiques mais institutionnalisés. Sans jamais chercher à administrer la moindre leçon de morale, Antoneta Alamat Kusijanović utilise la structure traditionnelle de la tragédie antique pour disséquer la mise en action d’une rébellion, en appliquant le principe éprouvé de celui par qui le scandale arrive afin de provoquer l’autodestruction de cette société régie par des automatismes d’un autre âge.
Jean-Philippe Guerand
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