Documentaire français d’André Bonzel (2021), avec André Bonzel, Benoît Poelvoorde, Rémy Belvaux… 1h50. Sortie le 20 avril 2022.
Le nom d’André Bonzel est associé à un film unique à tous les sens du terme : C’est arrivé près de chez vous (1992), qu’il a coréalisé avec son ami disparu, Rémy Belvaux, et avec un complice de celui-ci, Benoît Poelvoorde, alors débutant. Une date dans l’histoire du cinéma belge. Trente ans plus tard, il revient avec un documentaire introspectif qu’il a façonné en assemblant des images extraites des films qu’il collectionne depuis des années auxquels sont venus s’ajouter des bobines dont il a hérité d’une lointaine parente et qui l’ont forcé à affronter des images de l’homme qui lui a fait le plus de mal par son indifférence : son propre père. De cette boulimie aiguë d'images venues de toutes parts est né un film à nul autre pareil dans lequel le réalisateur se raconte en associant des mots à des images qui leur sont étrangères, le tout baigné par une belle partition de Benjamin Biolay, finalement beaucoup plus rare comme compositeur de bandes originales de films que comme acteur. Bonzel procède ainsi par associations, dans l’esprit de ces fameux cadavres exquis que chérissaient les surréalistes. L’histoire qu'il raconte à un rythme syncopé est souvent douloureuse, mais les images qu’il utilise pour l’illustrer l’élèvent parfois jusqu’à une certaine légèreté.
Ce qu’André Bonzel raconte, c’est rien moins que sa vie d’enfant mal aimé par son père qui a porté ce fardeau jusqu’à aujourd’hui. Ce film se présente donc comme un acte de résilience dans lequel le collectionneur compulsif utilise les images des films qu’il collectionne pour illustrer les situations les plus anodines dans une démarche qui n’est pas sans évoquer celle de Frank Beauvais dans Ne croyez surtout pas que je hurle (2019) où il évoquait une rupture douloureuse à l’aide de plans extraits des films qui avaient nourri son auto-confinement sentimental dans une bourgade provinciale coupée du monde. À cette différence qu’André Bonzel tire de cette agrégat tendresse, émotion et humour, en utilisant aussi des images extraites de home movies qui le renvoient directement à son vécu. Le résultat est une énorme boule d’émotion qui nous étreint et nous donne à regretter que ce réalisateur talentueux n’ait pas persévéré dans cette voie, comme brisé par un premier succès trop écrasant qui lui a en quelque sorte brisé les ailes, au moment même où il prenait son envol artistique. Et j’aime à la fureur est un poignant travail de deuil dépourvu d’apitoiement et de pathos. Un grand film d’amour contrarié.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire