Mila Film greco-polono-slovène de Christos Nikou (2020), avec Aris Servetalis, Sofia Georgovassili, Anna Kalaitzidou, Argyris Bakirtzis, Babis Makridis, Alexandra Aidini… 1h30. Sortie le 13 avril 2022.
Aris Servetalis
Le jeune cinéma hellène brille par son imagination fertile et polymorphe. Longtemps écrasé par la figure tutélaire du visionnaire Théo Angelopoulos (renvoyé de l’Idhec pour non-conformisme !) qui l’incarnait à lui tout seul dans les festivals internationaux et en accaparait tous les subsides, il a émergé à travers des feux follets cinématographiques aussi atypiques que Canine (2009) de Yórgos Lánthimos ou Attenberg (2010) d’Athiná-Rachél Tsangári qui ont passé la tragédie grecque au tamis de l’absurde. Plutôt que de se lamenter sur le naufrage économique qui a vidé le pays de ses forces vives et entraîné une réaction européenne draconienne dont Costa Gavras a donné un aperçu saisissant dans Adults in the Room (2019), le berceau de notre civilisation a choisi d’aller de l’avant et de puiser dans son imagination. Apples illustre aujourd’hui ce phénomène à travers une uchronie qui puise dans l’actualité récente pour en tirer des enseignements universels sur un ton pince-sans-rire. Dans un pays frappé par une recrudescence de cas d’amnésie, des thérapies sont mises en place pour donner à ces gens égarés de quoi se forger une nouvelle identité, à travers des gestes simples et une procédure en forme de panacée. Armé d’un magnétophone à cassettes et d’un appareil Polaroid, il va suivre des consignes anonymes et prendre des photos afin de témoigner de ses progrès erratiques.
Admirateur de Charlie Kaufman, Spike Jonze et Leos Carax, Christos Nikou signe avec Apples un premier film aussi simple qu’ambitieux. Il y suit le lent retour à la vie d’un homme dont la mémoire s’est évanouie et qui doit réapprendre les gestes les plus élémentaires pour pouvoir se réinsérer au sein d’une société où ses semblables sont de plus en plus nombreux, mais où lui-même a perdu ses attaches comme ses repères. Il lui suffit de déguster un jour une pomme sur son lit d’hôpital pour prendre goût à ce fruit que sa réputation prétend favorable à la mémoire, mais qui reste aussi associé dans notre inconscient collectif au fruit empoisonné de Blanche-Neige. Jusqu’au jour où un primeur lui conseille de goûter aux oranges… Son libre-arbitre sous influence ne lui offre que l’illusion du bonheur et il va s’en rendre compte au fil de ses désillusions, faute de parvenir à établir des attaches solides et pérennes. Dans un monde dépourvu de spontanéité, les bonnes surprises sont, elles aussi, en voie de disparition. Alors quand il jette son dévolu sur un malade en fin de vie, choisi de façon aléatoire dans un hôpital, et qu’il décide d’aller au-delà de la procédure qu’on lui a dictée en lui préparant un gâteau, c’est l’intégralité du petit monde qu’il s’est fabriqué qui s’effondre… Avec cette parabole nourrie par la pandémie de Covid-19, même si elle ne dit jamais son nom, Christos Nikou signe un premier film aussi prometteur qu’ambitieux.
Jean-Philippe Guerand
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