Film franco-belge d’Étienne Comar (2020), avec Alex Lutz, Agnès Jaoui, Hafsia Herzi, Veerle Baetens, Marie Berto, Fatima Berriah, Anna Najder, Emmanuelle Bonmariage, Michèle Moretti, Yves Heck… 1h46. Sortie le 13 avril 2022.
Un chanteur lyrique en crise accepte d’animer un atelier dans une prison pour femmes. Confronté à des détenues aux tempéraments parfois déconcertants, il met sa passion à leur service pour les aider à s’évader pendant quelques instants de leur solitude et de leur confinement. Mais il ne va pas pouvoir conserver bien longtemps ses distances vis-à-vis de ces recluses pour qui il devient petit à petit davantage qu’un simple dérivatif, une planche de salut. Le thème n’est pas nouveau. Il a même beaucoup servi sous des formes fluctuantes au cours de ces dernières années, ne serait-ce que très récemment dans Un triomphe d’Emmanuel Courcol, lui-même inspiré par une histoire authentique survenue en 1985 en Suède. Au point que ce principe d’une communauté qui trouve un nouveau sens à sa vie au contact d’un individu surgi d’ailleurs est même devenu aujourd’hui une figure imposée du Feel Good Movie. La particularité de la confrontation mise en scène par Étienne Comar, qui fut naguère le producteur et le scénariste de Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, est de mettre un homme lui-même en crise face à des détenues de longue durée en proie à des problèmes personnels inextricables.
Agnès Jaoui
À l’ombre des filles repose pour une bonne part sur une caractérisation particulière de chacune de ses protagonistes qui souligne à quel point elles forment moins une communauté soudée qu’une addition de névroses individuelles que la vie a rassemblées dans un lieu de détention où l’individu est nié au profit du collectif, faute d’infrastructures psychologiques adaptées. Le scénario joue aussi habilement sur les rapports compliqués qu'entretiennent ces femmes ravalées à leurs pulsions et à leurs frustrations de détenues de longue durée avec un homme lui-même sujet à de sérieux questionnements existentiels à la suite d’une rupture douloureuse. C’est dire l’ambiguïté qui conditionne cette étude de mœurs et son contraste avec cette discipline dérisoire que représente le chant lyrique pour ces détenues coupées du monde et transportées par cet art délicat dans un monde aussi artificiel que leur cadre quotidien les ramène à une réalité bien prosaïque.
Tout l’art de Comar consiste à établir une passerelle fragile entre ces deux univers a priori hermétiques l’un à l’autre dont le contraste s’avère déterminant, même s’il ne donne confiance et courage qu’aux plus réceptives. Pas de chute sensationnelle ni de morceaux de bravoure à proprement parler dans cette étude de mœurs qui préfère scruter à la loupe la façon dont ces caractères évoluent au contact les uns des autres dans un univers par définition immuable et intangible. Le réalisateur s’en remet pour cela à un aréopage d’interprètes féminines de très haute volée dont aucune n’est tout à fait où on l’attend, d’Hafsia Herzi à Agnès Jaoui. Et surtout, il prend soin de ménager leurs zones d’ombre, sans jamais se sentir obligé de tout expliquer. C’est aussi parce que ce film considère le spectateur comme l’une de ses constituantes à part entière qu’il évite tous les clichés qu’aurait pu engendrer son sujet. Chacun y trouvera son compte. Sans complaisance ni effets artificiels. C’est toute la noblesse de ce drame exempt de pathos, mais jamais de sensibilité.
Jean-Philippe Guerand
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