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“À la folie” d’Audrey Estrougo




Film français d’Audrey Estrougo (2020), avec Virginie van Robby, Lucie Debay, Anne Coesens, Benjamin Siksou, Théo Christine, François Creton… 1h22. Sortie le 6 avril 2022.



Virginie van Robby et Théo Christine



De retour dans sa famille à l’occasion de l’anniversaire de sa mère, Manu se trouve confrontée aux démons de son enfance et notamment à sa sœur aînée, Nathalie, que son instabilité psychologique a empêché de prendre son indépendance. Au fil des jours, se remettent en place des mécanismes pernicieux que tout le monde pensait oubliés, renvoyant la mère et ses deux filles à des souvenirs plutôt douloureux. C’est avant même son biopic du groupe NTM, Suprêmes, qu’Audrey Estrougo s’est lancée dans ce film psychologique dont l’inspiration est très intime, bien qu’elle n’ait pas eu elle-même de sœur aînée mais un frère cadet. À la folie peut en ce sens être considéré comme un exutoire et sans doute l’œuvre la plus intime de cette réalisatrice autodidacte qui associe pour l’occasion deux jeunes comédiennes prodigieuses : Virginie van Robby, qui accomplit ici ses débuts, et Lucie Debay, actrice belge nommée récemment au Magritte pour sa composition fantasque dans Une vie démente d’Ann Sirot et Raphaël Balboni. Audrey Estrougo reflète une vision très juste de la schizophénie à travers le portrait de groupe d’une famille dysfonctionnelle dont les parents toxiques sont campés par Anne Coesens et François Creton, révélé entre-temps dans le rôle principal des Héroïques de Maxime Roy qu'il avait coécrit.



Virginie van Robby, Théo Christine

Anne Coesens et Lucie Debay



Sur un thème qui a déjà donné lieu à de nombreuses variations cinématographiques, À la folie dépeint un enfer familial dont tous les membres sont solidaires, qu’ils le veuillent ou non. La maladie n’y frappe pas que celle qui en est atteinte, mais contamine l’ensemble de son entourage proche, faute de soins adaptés. La puissance du film réside dans sa capacité à montrer combien la toxicité du milieu influe en fait sur l’équilibre de la communauté tout entière. Au point de se demander parfois si la plus atteinte est la malade diagnostiquée plutôt que sa mère qui l’entretient dans son état, en s’efforçant de la protéger de l’extérieur et en se refusant à la faire interner, comme semblerait le nécessiter sa fragilité mentale. Ici intervient la qualité de la direction d’acteurs, et plus encore d’actrices, dont témoigne Audrey Estrougo qui choisit par ailleurs de confier les rôles secondaires de ce film très personnel à des interprètes qui lui sont familiers, qu’il s’agisse de Benjamin Siksou qu’elle a dirigé à plusieurs reprises depuis sa comédie musicale Toi, moi, les autres (2010), ou de Théo Christine, à qui elle confiera dans la foulée le rôle de Joey Starr dans Suprêmes. Cette proximité explique pour une bonne part l’authenticité qui se dégage de ce portrait de groupe aussi vénéneux que profondément troublant. C’est le prix de sa liberté radicale.

Jean-Philippe Guerand






Lucie Debay

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