Film français d’Alain Guiraudie (2020), avec Noémie Lvovsky, Jean-Charles Clichet, Iliès Kadri, Doria Tillier, Renaud Rutten, Michel Masiero, Philippe Fretun, Farida Rahouadj, Charlène Miveck Packa, Yves-Robert Viala, Patrick Ligardes… 1h40. Sortie le 2 mars 2022.
Noémie Lvovsky et Jean-Charles Clichet
L’une des particularités d’Alain Guiraudie consiste à ne jamais être tout à fait où l’on serait tenté de l’attendre. Il en fournit une nouvelle preuve avec Viens je t’emmène autour des amours compliquées du joggeur Médéric (Jean-Charles Clichet, enfin dans un premier rôle), avec la péripatéticienne Isadora (Noémie Lvovsky en mode Arletty), dont le mari complaisant observe d’un très mauvais œil cette relation non rémunérée qui menace le difficile équilibre de sa vie conjugale. Rien n’est jamais simple chez l’auteur de L’inconnu du lac qui brasse ici des thèmes pour le moins hétérogènes dans la paisible cité de Clermont-Ferrand dont un attentat terroriste vient troubler la sérénité provinciale et jette la suspicion sur des migrants en quête d’un abri de fortune. Bien malin qui pourrait déterminer le genre de ce film aux ramifications multiples. Le burlesque y fait intrusion au beau milieu de la tragédie et une romance en vient à se télescoper avec d’étranges relations de voisinage qui esquissent un microcosme comme nous en connaissons tous. Il suffit qu’un locataire ouvre sa porte à un SDF pour qu’il provoque une sorte de jeu de la vérité bien peu ragoûtant dans lequel des citoyens ordinaires laissent s’exprimer leurs plus bas instincts.
Jean-Charles Clichet et Noémie Lvovsky
Cité naguère en exemple par le grand Jean-Luc Godard en personne, Alain Guiraudie est un franc-tireur qui n’utilise les codes cinématographiques que pour les subvertir et s’amuse à recycler à sa manière des archétypes dans un savoureux esprit frondeur. La putain amoureuse qu’incarne Noémie Lvovsky n’appartient qu’à lui. C’est une artisane du sexe qui vit dans un pavillon où la surveille un voisin retraité des renseignements généraux mû par sa conscience professionnelle et son sens du devoir. Si l’expression France profonde a un sens, c’est dans un film comme celui-là qu’elle s’incarne à travers ses multiples ramifications et ses personnages pittoresques dont certains n’auraient pas dépareillé le cinéma d’Avant-Guerre. Des archétypes brossés parfois en deux ou trois répliques qui expriment une sorte de bon sens populiste en expliquant comment un pays peut se déchirer par collabos et résistants interposés. Viens je t’emmène nous offre le reflet de ce que nous sommes, sur un mode tendre et narquois et avec une bonne dose de tendresse en prime.
Jean-Philippe Guerand
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