Documentaire français de Jean-Gabriel Périot (2021), avec la voix d’Adèle Haenel 1h23. Sortie le 30 mars 2022.
Comme l’indique clairement son titre, Jean-Gabriel Périot a choisi de ne porter à l’écran que des extraits de l’essai consacré par Didier Eribon à l’histoire du monde ouvrier depuis l’Après-Guerre. Une réflexion hautement politique qui soutient la thèse d’une sorte de fatalité sociale à travers des images d’archive. De crainte de survoler son sujet s’il en traitait tous les aspects, il préfère se concentrer sur le destin des parents de l’écrivain et insister sur le statut de la femme dans ce monde. Ce que le philosophe s’attelait à démontrer, il se contente de le montrer en fournissant au spectateur les clés qui vont lui permettre de se faire sa propre idée. Loin de se livrer à une hagiographie, Périot opère à dessein des choix qui prête à débat. C’est notamment le cas quand il évoque la personnalité de la grand-mère maternelle d’Eribon, tondue à la Libération pour avoir préféré jouir de sa jeunesse à ses enfants. Vision singulière et clivante de la collaboration ordinaire qui prend le contre-pied du souci de réconciliation exprimé dans les discours officiels. Adepte d’un cinéma de montage dialectique qui a notamment fait merveille dans son film le plus célèbre, Une jeunesse allemande (2015), Périot utilise les archives pour appuyer sa réflexion, sans jamais rester dans l’illustration.
Retour à Reims (Fragments) s’appuie en outre sur un élément fondamental : un commentaire en voix off dit par Adèle Haenel qui se charge de décrypter les images. Le film s’articule en deux mouvements distincts : le premier s’attache à évoquer l’histoire de la classe ouvrière, tandis que le second décrit la fin de son utopie précipitée par la chute du Rideau de Fer et le repli de l’électorat communiste traditionnel vers l’extrême-droite. Ce documentaire palpitant est en cela un cours magistral de géopolitique qui éclaire les mutations de la société française dont les classes populaires ont été trahies par la gauche traditionnelle avant d’être récupérées par les populistes. Périot assume l’aspect polémique de son film, mais privilégie la mise en perspective à une tentative d’analyse forcément biaisée. Il utilise pour cela non seulement des extraits de reportages et d’émissions de télévision, mais aussi des films de nature et d’origines diverses, de Renoir à Godard, en passant par Pialat, Michel Drach et Coline Serreau. Avec toujours ce souci de rendre le plus intelligible possible le discours de Didier Eribon auprès du public auquel il s’adresse : ces obscurs et ces sans-grade dont il chronique l’abandon organisé par les partis ouvriers traditionnels au profit d’une classe moyenne venue crier famine en revêtant des gilets jaunes. Le constat est accablant.
Jean-Philippe Guerand
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