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“Plumes” d’Omar El Zohairy



Feathers Film franco-égypto-hollando-grec d’Omar El Zohairy (2021), avec Demyana Nassar, Samy Bassouny, Fady Mina Fawzy, Abo Sefen Nabil Wesa, Mohamed Abd El Hady… 1h52. Sortie le 23 mars 2022.



Samy Bassouny et Demyana Nassar



Une famille survit dans un taudis indescriptible. Les enfants piaillent, la mère vaque à ses occupations de ménagère soumise et silencieuse, tandis que le père s’use à la tâche pour nourrir sa famille. Le jour de l’anniversaire de son fils, il met les petits plats dans les grands, convie ses voisins, ses amis, sa famille, ses collègues et son patron, affuble de guirlandes et de ballons bariolés son trou à rats et va jusqu’à convier un illusionniste qui l’invite à prendre place dans une grande caisse et entreprend de le changer en poulet. Las, le chef de famille disparaît dans ce qui ressemble à un ratage en règle. Dans le doute, le volatile le remplace en becquetant des graines sur la toile souillée du lit conjugal déserté… Le point de départ de ce premier film égyptien ne peut laisser quiconque indifférent. Il s’avère d’ailleurs comme un simple prétexte. L’essentiel est ailleurs : dans la description que nous offre Omar El Zohairy d’une société kafkaïenne où l’illusion du bonheur se suffit à elle-même et où les fenêtres du logis miteux donnent sur les fumées pestilentielles que crache une usine. La description est cruelle, la mise en scène sans pitié. Les misérables sourient béatement au monde qui les opprime. On se croirait dans Affreux, sales et méchants, en apnée parmi une humanité réduite à l’état animal qui n’assume plus que des fonctions élémentaires et ne manifeste en contrepartie que des réactions primaires. Sans jamais se lamenter sur son sort.






Grand Prix de la Semaine de la critique 2021, Plumes semble sorti de nulle part. Son réalisateur s’y réclame des écrits des Robert Bresson pour éviter de répondre aux questions cartésiennes que pourrait induire son film. Il laisse en cela un vaste libre arbitre au spectateur et s’abstient de trancher. Les spécimens d’humanité qu’il décrit sont au mieux des victimes, au pire des esclaves. Jamais ils ne se demandent pourquoi le père a été changé en poulet. L’a-t-il d’ailleurs seulement été ? La femme continue à assumer son rôle de mère, en acceptant son sort sans moufter. Omar El Zohairy maîtrise à la perfection l’art de la fugue et du contrepoint. Chez lui, la musique n’intervient que pour créer une rupture avec les images qu’elle accompagne. L’anniversaire est à ce titre un pur morceau d’anthologie où le patron trop imbu de lui-même tend une liasse de billets au jeune héros du jour sans réaliser qu’il n’est encore qu’un enfant. Les personnages sont traités à dessein comme des archétypes et en arborent tous les signes extérieurs. Mais le réalisateur n’est pas dupe et il le prouve en réduisant à l’extrême les dialogues prononcés par des interprètes non professionnels qui assument leur statut d’archétypes dans des décors stylisés jusqu’à l’extrême. Plumes emprunte une voie singulière dont les repères nous échappent. Reste à savoir si Omar El Zohairy penchera davantage du côté de Jacques Tati, Terry Gilliam ou Aki Kaurismäki par son sens du burlesque et son penchant pour la stylisation.

Jean-Philippe Guerand




Demyana Nassar

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