Film français de Samuel Theis (2021), avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Izïa Higelin, Mélissa Olexa, Abdel Benchendikh, Jade Schwartz, Ilario Gallo… 1h33. Sortie le 9 mars 2022.
Aliocha Reinert
On ne compte plus les films sur les gamins qui grandissent dans des milieux toxiques, au point de devenir caractériels voire carrément irrécupérables pour la société. On sait depuis longtemps que l’enfance n’est que rarement un vert paradis et que la société peine à panser des blessures sinon des traumatismes qui risquent de devenir indélébiles. Famille je vous aime, famille je vous hais : la litanie est connue. Le cinéma l’a abordée sous tous les angles et en a tiré quelques chefs d’œuvre qui nous renvoient souvent des reflets peu flatteurs d’un système éducatif défaillant ou de structures familiales en déliquescence. François Truffaut, Luigi Comencini, Ken Loach ou Edward Yang s’en sont faits les porte-paroles.
Aliocha Reinert et Mélissa Olexa
En s’aventurant sur ces sables mouvants, Samuel Theis ne fait confirmer l’impression favorable suscitée par son premier long métrage réalisé à trois : Party Girl dans lequel il mettait en scène sa propre mère avec deux camarades de la Fémis : Claire Burger qui a confirmé son talent avec un autre film familial, C’est ça l’amour, et Marie Amachoukeli qui s’apprête à son tour à passer à l’acte en solo. Avec pour cadre la ville de Forbach sur laquelle la documentariste Marie Dumora braque régulièrement elle aussi sa caméra avec tendresse et compassion. Comme si cette ex-capitale du bassin houiller de Lorraine victime de la désindustrialisation était devenue l’épicentre de toute la misère d’un monde où l’absence de perspectives a détruit les structures familiales de ses habitants.
Aliocha Reinert
C’est dans une cité HLM de ce No Man’s Land rongé par la misère sociale et des perspectives d’avenir limitées qu’a grandi Johnny, 10 ans, avec sous les yeux le spectacle désolant d’une mère qui semble condamné à l’échec et en est arrivée à oublier que son fils est encore un enfant. Alors quand il rencontre un instituteur à l’écoute et compréhensif, le jeune garçon y voit la possibilité d’échapper à cet enfer qui ne peut le mener qu’à une impasse. Intrigué par ce gamin en qui il perçoit des capacités prometteuses, l’enseignant entreprend de l’encourager et va jusqu’à l’accueillir chez lui où sa compagne partage son coup de cœur pour cet élève qui ne demande qu’à apprendre…
Petite nature nous convie dans un univers dont le cinéma français ne s’approche que très rarement : celui des déclassés et des marginaux qui n’apparaissent jamais dans les journaux télévisés, sinon parfois à la faveur de faits divers dont ils sont parfois les coupables, mais plus souvent les victimes. Samuel Theis montre une alternative à cette fatalité sociale, en s’attachant à un gamin qui a compris que son seul salut résidait dans la fuite et jette son dévolu sur un enseignant qu’il choisit comme mentor, au sens le plus noble de ce terme. Avec cette difficulté épineuse que représente aujourd’hui la description de l’attachement d’un adulte et d’un enfant, avec le spectre de la pédophilie. Aucune ambiguïté dans ce film, et c’est là sa noblesse et sa nécessité.
Mélissa Olexa et Aliocha Reinert
Si Johnny choisit de trouver refuge auprès de son instituteur, c’est parce qu’il est le seul représentant de l’autorité à ses yeux, mais aussi celui qui lui prodigue le savoir et peut en tant que tel l’aider à échapper à un destin trop prévisible. Ce sursaut dicté par l’instinct de survie n’est pas nouveau. Il sous-tend également le destin de l’écrivain Édouard Louis, tel qu’il l’a relaté dans son livre “En finir avec Eddy Bellegueule”. En cela, le titre Petite nature circonscrit très précisément l’enjeu du film. Il exprime aussi le regard des autres sur une personnalité qui leur semble détonner avec la norme en vigueur. Or, c’est précisément là toute l’audace de Samuel Theis dont l’itinéraire personnel illustre ce cheminement aussi incertain que risqué. Il démontre en outre d’immense qualités de directeur d’acteurs, en instaurant une alchimie miraculeuse entre ces comédiens chevronnés que sont Antoine Reinartz et Izïa Higelin, tout en retenue, et ce blondinet au visage d’ange qu’incarne Aliocha Reinert avec une intensité de tous les plans, mais sans jamais en faire trop. La magie de ce film leur doit beaucoup.
Antoine Reinartz et Aliocha Reinert
Du courage, il en fallait pour raconter l’histoire d’un gamin de dix ans qui s’élève contre son milieu et se donne les moyens de ses ambitions en sollicitant une enseignant afin qu’il lui donne les clés de la prison sociale où il se sait condamné à perpétuité. Samuel Theis excelle dans la description des rapports de confiance qui s’instaurent avec délicatesse entre cet enfant trop rapidement monté en graine et un instituteur confronté à des responsabilités qui dépassent sa fonction. En inscrivant en outre ce discours dans le cadre d’une Lorraine fracturée et meurtrie qui ne considère pas le malheur comme une fatalité, mais comme un fléau à éradiquer pour conjurer ses vieux démons.
Jean-Philippe Guerand
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