Film brésilien d’Anita Rocha da Silveira (2021), avec Mari Oliveira, Lara Tremouroux, Bruna Linzmeyer, Felipe Frazão, Thiago Fragoso, Joana Medeiros, Bruna G… 2h07. Sortie le 16 mars 2022.
C’est bien connu, le cinéma de genre doit ses lettres de noblesse à ces œuvres qui choisissent ses artifices pour exprimer des idées subversives qui passeraient sans doute plus difficilement sous un régime autoritaire et n’atteindraient certainement pas un public aussi vaste. Tel est le postulat de Medusa dans lequel la réalisatrice Anita Rocha da Silveira exprime un féminisme militant en glissant délibérément vers le fantastique, une longue tradition nationale qu’exprima en son temps un cinéaste tel qu’Alberto Cavalcanti et que Les bonnes manières (2017) de Marco Dutra et Juliana Rojas et Bacurau (2019) de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles sont venus rappeler récemment à notre souvenir avec une indéniable virtuosité. Les hauts et les bas spectaculaires du régime politique ont incité ses artistes à donner un relief particulier à leur lutte en détournant la censure. Medusa se présente ainsi comme la chronique d’une bande de justicières autoproclamées qui arpentent les rues à la nuit tombée pour châtier celles qu’elles considèrent comme des pécheresses. Un point de départ qui a donné lieu à bien des séries B anglo-saxonnes, sans alibi d’aucune sorte pour autant, avec en prime ici des incursions réussies sur les registres de la comédie musicale et de l’horreur.
Sa différence, la réalisatrice l’exprime ici par un message subliminal passionnant qu’on peut assimiler au choix à un instinct de survie élémentaire ou à un engagement virulent contre les violences faites aux femmes, avec un humour toujours en embuscade qui n’hésite jamais à dévier du côté du gore. Medusa est un film d’autant plus passionnant que son discours emprunte les voies codifiées du cinéma fantastique pour danser sur les décombres d’une société qui a égaré à la fois sa boussole et son GPS. Ses justicières sortent masquées pour exécuter leurs basses œuvres, mais défendent une cause qu’elles considèrent comme légitime au nom d’une supposée protection des mœurs. Ce qui ne les empêche pas d’exprimer leur romantisme voire de pousser la chansonnette en assumant leur nature de midinettes schizophrènes. Mais au-delà de cette croisade jubilatoire, c’est la société brésilienne et l’hypocrisie de sa piété conservatrice que remettent en cause ces guerrières de la nuit en mal d’amour.
Révélée à la Mostra de Venise avec son premier long métrage, Mate-me por favor (2015), Anita Rocha da Silveira confirme à travers son nouveau film d’un engagement déterminé qui passe par une subversion des codes du giallo, ce genre spécifiquement latin dont les artisans Mario Bava et Dario Argento font aujourd’hui figure de maîtres. D’où le double niveau de lecture de cet opus brillamment mis en scène qui décrit les menaces pesant sur la démocratie brésilienne avant même l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro à travers le pouvoir de nuisance des évangélistes et autres communautés réactionnaires qui voudraient voir la société régentée par des dogmes religieux d’un autre âge. Avec, en filigrane, un étouffement de la sexualité à contre-temps de l’époque dont la frustration ne peut mener qu’aux pires excès et tient lieu de dérivatif à la misère sociale endémique que la récente pandémie n’a contribué qu’à intensifier sous l’effet pervers du populisme. Anita Rocha da Silveira agit donc aussi comme une authentique lanceuse d’alerte.
Jean-Philippe Guerand
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