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“Les meilleures” de Marion Desseigne Ravel



Film français de Marion Desseigne Ravel (2020), avec Lina El Arabi, Esther Rollande, Mahia Zrouki, Kiyane Benamara, Tasnim Jamlaoui, Laetitia Kerfa, Mariama Gueye, Zoé Marchal, Azize Diabate Abdoulaye, Fadia Bouanati… 1h20. Sortie le 9 mars 2022.



Esther Rollande



Il y a plusieurs façons de résumer ce film. On peut y voir une chronique de banlieue dans la meilleure tradition de ce genre à part entière. Il est également possible d’y percevoir la chronique d’une passion au sein d’une cité où la rumeur peut s’avérer particulièrement perfide. C’est enfin l’histoire de deux adolescentes qui vont passer de l’amitié à l’amour dans un contexte où l’homosexualité constitue encore un véritable tabou incompatible avec certains dogmes religieux. Pour son premier long métrage, esquissé par son court Fatiya (2019), Marion Desseigne Ravel n’a pas choisi la facilité, loin de là. Elle signe un authentique mélodrame dans un cadre inhabituel et orchestre ce coup de foudre au féminin en adoptant le point de vue romantique de ses deux protagonistes confrontées au regard des autres, en l’occurrence leurs bandes de filles. Lauréat de la fondation Gan, Les meilleures s’attache à deux lycéennes qui ont tout pour devenir amies et vont peu à peu se laisser submerger par des sentiments qui en viennent à les dépasser, avec les dégâts collatéraux qu’implique le jugement de leur entourage campé sur des schémas au fond bien trop traditionnels pour tolérer le moindre écart. Au-delà de cette histoire d’amour pas si simple, affleure une étude de mœurs qui décrit avec justesse un monde régi par des codes puritains pour ne pas dire rétrogrades et souligne à quel point certaines communautés continuent à (ne pas) évoluer, en demeurant discrètement à l’écart des avancées des mœurs qui caractérisent le reste de la société civile, à la pointe de la modernité sur les plans moraux et législatifs, de la GPA à la transsexualité.






La réalisatrice ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit. Elle préfère montrer l’éveil de l’amour, la cristallisation de la passion et ce moment où les sentiments emportent tout sur leur passage. Ses deux protagonistes sont des adolescentes confrontées à des pulsions spontanées dans un univers dominé par le regard des autres où règne un esprit de bandes qui constitue le plus sûr rempart contre le libre-arbitre individuel. Dans la cité où elles vivent, l’instinct grégaire domine les destinées personnelles, sous l’égide de groupes au sein desquels les sexes ne se mélangent jamais. Pas question de dissimuler ses joies et ses peines à sa communauté de cœur, sous peine de haute trahison. Sauf quand la ligne rouge est franchie, en l’occurrence ici le tabou de l’homosexualité, proprement inconcevable dans ce microcosme d’un autre âge qui s’est peu à peu recroquevillé en marge du reste de la société et rend donc hypothétique l’intégration de ses membres au sein de la communauté nationale, à moins de rompre avec son milieu d’origine. La réussite du film de Marion Desseigne Ravel consiste à trouver la juste distance entre la pure romance -sublimée par deux interprètes lumineuses, Lina El Arabi, révélée par Noces de Stephan Streker, et Esther Rollande, qui accomplit ici des débuts tonitruants- et le phénomène de société bien réel qui tient lieu de contexte à cette chronique sentimentale en milieu hostile.

Jean-Philippe Guerand









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