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“Le dernier témoignage” de Luke Holland



Final Account Documentaire britannico-américain de Luke Holland (2021) 1h35. Sortie le 23 mars 2022.





Il est des films qui défient la critique. Ce documentaire posthume de Luke Holland en fait partie par son postulat. Il donne en effet la parole à une poignée de survivants de la Seconde Guerre mondiale comme en a beaucoup vus à la télévision et au cinéma. Des femmes et des hommes que cette période a marqués à jamais. À une nuance près : ils sont allemands et ont été du côté des bourreaux. Pas des victimes. En partant à leur rencontre dès 2008, le réalisateur britannique a tenté de comprendre ce qui avait pu convaincre des êtres humains comme les autres d’opter pour le camp du mal et de se soumettre à l’endoctrinement du Troisième Reich. Ses interlocuteurs n’ont joué aucun rôle particulier dans l’histoire. En revanche, ils ont en commun d’avoir été les rouages invisibles de la mécanique construite par le régime hitlérien. Ils en parlent d’ailleurs en invoquant leur patriotisme. Certains d’entre eux vont même jusqu’à laisser s’exprimer une certaine nostalgie qui relève davantage de l’indécence que de l’inconscience. On pourrait dire d’eux que ce sont de mauvais perdants, si leur propos ne traduisaient des relents de nostalgie parfaitement assumés et une absence de culpabilité dont des propos enregistrés à l'insu d'un des témoins trahissent la sinistre évidence.





Mort en 2020, Luke Holland a mené à bien quelque trois cents entretiens pendant une dizaine d’années pour essayer de démonter la mécanique qui a rallié l’intégralité d’un peuple à des thèses bellicistes, xénophobes, racistes au nom d’un nationalisme dévoyé. Difficile de ne pas être pris de nausée face aux propos parfois indécents de ces obscurs sous-fifres, sans doute flattés d’être interviewés en tant que tels, d’où émergent davantage de regrets face à la défaite que de remords face à une barbarie qui a mené un peuple à sa perte en mettant en œuvre un génocide de masse. Il s’est agi aussi pour le cinéaste britannique d’accomplir une sorte d’exorcisme intime, dans la mesure où il a lui-même été élevé dans l’ignorance de ses origines juives par une mère qui s’en voulait d’avoir abandonné ses propres parents à Vienne, au lendemain de la Nuit de cristal. C’est dire combien sa démarche est dictée par un besoin de comprendre comment un peuple tout entier a pu ainsi basculer du côté du Mal absolu.



Le réalisateur Luke Holland



Le dernier témoignage ne peut pas se juger en tant qu’œuvre cinématographique. Certes, la démarche de Holland se justifie par un besoin de comprendre et de dire l’indicible, comme le prônait Elie Wiesel. Les interlocuteurs du cinéaste ne se font d’ailleurs pas prier pour parler et ne pratiquent pas vraiment la langue de bois. Ils assument leurs fautes voire leurs crimes, mais invoquent le plus souvent une impulsion collective et patriotique, en démontant un système dont les Jeunesses hitlériennes constituaient la première étape. Ils démontrent aussi par la persistance de leurs sentiments que leur conditionnement a diffusé son poison, sans que rien ne parvienne à leur faire admettre l’ignominie de l’idéologie dont ils sont devenus “les bons petits soldats”. C’est précisément ce qui confère son caractère exceptionnel à ce documentaire dérangeant d’où affleure une résilience purement négative, de nature à nourrir bien des études de psychologie et de psychiatrie. Ce film hautement abrasif nécessite en tout cas d'être assorti d'une panoplie de précautions pédagogiques, tant son propos est de ceux qui dérangent. Plus jamais ça !

Jean-Philippe Guerand






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