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“Funambules” d’Ilan Klipper




Documentaire français d’Ilan Klipper (2020), avec Aube Martin, Yoan Nsoe, Marcus, Jean-François Bias, Camille Chamoux, Abderrezak Mouthana, Ludovic Prévoteaux, Anaïs Thomas… 1h15. Sortie le 16 mars 2022.



Aube Martin



Qu’est-ce que l’autisme ? Ce film essaie de répondre à cette question épineuse en filmant attentivement des personnes en proie à une pathologie polymorphe. Il nous introduit ainsi parmi une communauté disparate dont les membres n’ont en commun que cette étiquette, chacun se débattant avec ses propres démons, souvent à l’écart des autres. Il y a là un homme qui répète chaque phrase avec insistance, un autre qui se rassure en vivant dans un capharnaüm indescriptible en brisant des noix avec un maillet. Et puis aussi des artistes privés de leur passion : un ancien danseur et une gymnaste à la tête pleine de couleurs. Des symptômes multiples pour une appellation commune sans doute expéditive qui désigne de multiples atteintes. Avec toujours en filigrane des traumatismes lointains et pour conséquence un repli sur soi. Funambules fait écho à un autre film, britannique celui-là, qui s’inspire quant à lui du livre d’un autiste japonais qui a réussi la prouesse inédite d'exprimer ses sensations par les mots : Sais-tu pourquoi je saute ? de Jerry Rothwell dont la sortie est prévue le 22 avril prochain. Deux films qui contribuent à dissiper un mystère un tout petit peu moins épais, en sollicitant ceux qui sont atteints par cette affection afin qu'ils nous guident parmi leur dédale mental.






Comme son titre l’indique, Funambules (que son auteur a préféré aux Fous sont dans la ville, longtemps envisagé) s’attache à des personnages cadenassés au plus profond d’eux-mêmes qui semblent condamnés à errer comme des pantins brisés sur une corde raide tendue entre la réalité et la perception de plus en plus floue qu’ils en ont. En digne émule du grand Frederick Wiseman, Ilan Klipper observe ces femmes et ces hommes à la manière d’un entomologiste contemplant des insectes. De l’autre côté d’un miroir invisible qui n’est pas sans évoquer celui d’Alice au pays des merveilles, Aube, Yoan, Marcus, Jean-François et les autres se battent courageusement contre les démons qui les assaillent et les tenaillent, en soliloquant dans le vide… Le réalisateur revient là à un univers qu’il avait déjà investi dans son documentaire Sainte-Anne, hôpital psychiatrique (2010), en filmant chacun de ses protagonistes avec un style qui convienne à sa pathologie et qui découle d’une phase d’observation et même d’approche préalables. La réussite de Funambules consiste à ne jamais placer le spectateur dans une posture indécente qui pourrait s’apparenter au voyeurisme. Seuls contre tous, ces gens égarés au fond d’eux-mêmes nous donnent à entrevoir un monde inaccessible qui a encore beaucoup de secrets à délivrer.

Jean-Philippe Guerand








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