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“En nous” de Régis Sauder



Documentaire français de Régis Sauder (2021), avec Laura Badrane, Cadiatou N’Diaye, Armelle Diakiese, Abou Achoumani, Albert Segarra, Anaïs di Gregorio, Aurore Pastor, Emmanuelle Bonthou, Morgane Sanz, Sarah Yagoubi, Virginie da Vega Lopes… 1h39. Sortie le 23 mars 2022.





Il y a déjà une décennie, Régis Sauder répondait à une provocation de Nicolas Sarkozy avec Nous, princesse de Clèves, une immersion dans une classe de lycée des quartiers Nord de Marseille où l’étude du roman de Madame de La Fayette semblait inconcevable aux yeux de ce Président insensible aux vertus de l’enseignement général, mais donnait lieu à l’expression des aspirations d’une génération sacrifiée. Un film devenu emblématique pour tous ceux qui s’acharnent à croire aux mérites de l’école républicaine comme à un passeport citoyen pour la liberté. Il émanait de cette jeunesse en plein doute des interrogations sociétales récurrentes et surtout un puissant appétit de vivre qui trouve aujourd’hui son aboutissement dans En nous, à travers les chemins de traverse empruntés par ces jeunes pour échapper à une fatalité sociale annoncée. Dix ans plus tard, la vie ne les a pas épargnés, mais ils ont survécu tant bien que mal. Comme pour prouver aux prophètes de malheur que rien n’est jamais écrit et que les malédictions n’existent que pour être conjurées. À commencer par leur enseignante qui en est arrivée aujourd’hui à douter de sa vocation et ne se voit pas finir ses jours dans cette profession qu’elle a tant aimée, bien qu’elle apprécie toujours autant ses élèves et se réjouisse de voir les plus anciens lui démontrer la portée de sa mission. Entre-temps, il faut dire que la pandémie est passée par là, avec son cortège de confinements, de couvre-feu, de mesures sanitaires et d’enseignement en distanciel. Car dans ce film, le masque est loin d’être un accessoire anodin. C’est un obstacle social majeur.





Comme beaucoup de portraits de groupes, En nous met en évidence de fortes individualités que Régis Sauder confronte à leurs aspirations. Il y a autant d’espoirs déçus que d’illusions perdues dans cette confrontation entre le passé et le présent dont les graines d’espoir sont toujours des enfants. Certains sont partis ailleurs, leur professeure est restée dans le même lycée. Mais elle ne se voit pas y finir sa carrière. Conséquence d’une crise de l’enseignement qui a raison des vocations les plus solides, au point de relever désormais du phénomène de société. Alors ce deuxième film (qui en appelle d’autres) fonctionne comme un révélateur, mais aussi un phénomène de thérapie collective aux vertus curatives. Les voix qui s’y expriment esquissent un malaise qui confine au phénomène de société et nous font toucher à la misère absolue, celle qui fait qu’on ne mange plus à sa fin. Avec ce corollaire sidérant qui incite une jeune femme à la silhouette parfaite à prendre en photo son corps décharné comme une œuvre d’art pour se convaincre que sa maigreur est bel et bien la conséquence d’une souffrance engendrée par la malnutrition. La réalité que montre Régis Sauder est souvent cruelle. Elle reflète les paradoxes insoutenables de notre société dont la destruction de la cellule familiale a précipité la chute. Ce film généreux nous en renvoie des reflets parfois terribles, à travers des voix qui portent une détresse générationnelle inquiétante.

Jean-Philippe Guerand





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