Accéder au contenu principal

“Aristocrats” de Yukiko Sode




Anoko wa kizoku Film japonais de Yukiko Sode (2020), avec Guin Poon Chaw, Kei Ishibashi, Shizuka Ishibashi, Mugi Kadowaki, Kiko Mizuhara, Kengo Kôra, Ryôka Minamide… 2h05. Sortie le 30 mars 2022.






Jugée avec moins de bienveillance que de suspicion par sa famille de grands bourgeois pétris de préjugés de classe parce qu’elle est toujours célibataire à près de 30 ans, Hanako redoute surtout de commettre une erreur de jugement irrémédiable en se précipitant dans les bras du premier venu. Alors quand elle découvre que l’homme sur lequel elle a cru bon de jeter son dévolu entretient des relations ambiguës avec une étudiante d’origine modeste venue de province, elle décide d’en avoir le cœur net et entreprend de nouer des liens avec cette rivale dont tout semble la séparer. Inspiré du roman de Mariko Yamauchi “Anoko wa Kizoku”, Aristocrats est une plongée dans un Japon encore régi par des conventions héritées du régime féodal dont le personnage masculin semble porter tout le poids. Yukiko Sode souligne à travers ce film les rituels désuets et étouffants d’un monde replié sur lui-même qui se préoccupe davantage du paraître que de l’être et considère le mariage comme une transaction sociale où l’amour n’occupe qu’une fonction subalterne. Un propos également entendu il y a peu dans un autre film japonais signé par une autre réalisatrice, quant à elle quinquagénaire, The Housewife de Yukiko Mishima, sorti le 9 mars dernier.






Les héritières de Kenji Mizoguchi et Mikio Naruse, pionniers pourtant considérés en leur temps comme des directeurs d’actrices émérites, se caractérisent par leur détermination à bousculer les traditions en faisant bouger les lignes. À l’image du couple idéal posant dans un escalier en tenue de mariage, la société figée que décrit Aristocrats pourrait ainsi engendrer un féminisme beaucoup plus atypique que celui qui s’est développé en Occident, en faisant trembler sur ses bases un patriarcat séculaire devenu comme dans ce film subtil un réel obstacle à l’accomplissement individuel. Singulièrement, dans ce monde artificiel régi par des relations sociales énigmatiques, la femme juge plus opportun de nouer une intimité avec sa rivale qu’avec l’homme qui les a rapprochées malgré lui. Un peu comme s’il s’agissait de faire front contre un adversaire commun conditionné par des codes difficiles à décrypter pour celles et ceux qui n’appartiennent pas à sa caste. C’est donc un univers aussi étrange qu'exotique nous invite à visiter cette étude de mœurs dans laquelle l’illusion du bonheur ne reste qu’accessoire.

Jean-Philippe Guerand






Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract