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“Vous ne désirez que moi” de Claire Simon




Film français de Claire Simon (2020), avec Swann Arlaud, Emmanuelle Devos, Christophe Paou, Philippe Minyana… 1h35. Sortie le 9 février 2022.



Swann Arlaud



Étonnante entreprise que celle dans laquelle s’est lancée la prolifique Claire Simon, surtout célèbre pour son œuvre documentaire. Dans ce qui ne constitue que son cinquième long métrage de pure fiction (et encore !) en trente ans, elle met en scène les entretiens radiophoniques qu’a eu la journaliste Michèle Manceau avec Yann Andréa, le dernier compagnon de Marguerite Duras dont le séparaient trente-huit années. Une confession à micro ouvert dans laquelle le jeune homme évoque cette situation singulière en pesant ses mots et dérobe quelques bribes d’éternité à son écrasante compagne qu’il a rapportées lui-même dans son ouvrage “Je voudrais parler de Duras”, en 2016. Première idée lumineuse du film : ne montrer sa muse que dans de brefs morceaux d’archive et l’évoquer par sa voix inimitable qui reste l’un de ses signes de reconnaissance les plus marquants, notamment grâce aux films qu’elle a elle-même réalisés où elle est parfois apparue, mais a surtout assumé la voix off à nulle autre pareille lorsque Delphine Seyrig ou Michael Lonsdale ne pouvaient pas s’en charger. Comme pour démontrer qu’elle était la seule capable de donner une incarnation à la démesure des mots qu’elle avait écrits.



Swann Arlaud et Emmanuelle Devos



La fascination qu’exerce Vous ne désirez que moi (injonction amoureuse qui résume en soi la puissance démiurgique de Duras) tient au fond moins à ce qui s’y dit qu’à celui qui en a la charge redoutable. Claire Simon a trouvé en Swann Arlaud un Yann Andréa idéal, jeune homme sauvé par une intellectuelle âgée qui jouera pour lui le rôle d’une pygma… lionne, par sa façon absolue de se repaître de ses espoirs et de l’introniser en littérature dans ce qu’elle a de plus intellectuel. C’est ce que nous montre ce film profondément humain derrière ses mots d’une vive acuité. Sur le plan formel, Claire Simon coupe court aux critiques qui pourraient émaner de l’intelligentsia. Elle se met toute entière au service de ses deux interprètes et choisit de rester en retrait pour mieux servir le texte qu’elle met en scène dans le salon de la résidence des Roches Noires à Trouville-sur-Mer, où Duras avait attiré bon nombre de proches, de la comédienne Bulle Ogier à l’attaché de presse Claude Davy.



Swann Arlaud



Après nous avoir fait entendre la voix de Duras accueillant la journaliste en lui demandant si elle veut un café, façon dérisoire de mieux l’apprivoiser à un moment où elle sent que c’est au tour de son compagnon d’entrer dans la lumière, elle choisit de la montrer dans des images d’archive, notamment en pleine réalisation d’un de ses films, donnant à son amant d’une voix de stentor des consignes qui ne supportent aucun commentaire. Un reportage d’autant plus intéressant qu’il ne cadre que la cinéaste et que pour une fois, c’est son interprète qui est hors-champ, dans une formidable allégorie inversée du cinéma. C’est toute la grâce qui se dégage de cette incursion tendre et cruelle dans l’intimité d’un dragon où Claire Simon a la bonne idée de ne jamais calquer son cinéma sur celui de Duras, tant celui-ci n'appartenait qu’à son auteure et ne saurait se prêter à la moindre imitation.

Jean-Philippe Guerand







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