Documentaire français d’Emmanuel Gras (2020) 1h44. Sortie le 23 février 2022.
Le mouvement des Gilets Jaunes n’a encore suscité que peu de films réellement en immersion parmi cette fronde d’aujourd’hui, sinon J’veux du soleil de François Ruffin et Gilles Perret voire de façon périphérique La fracture de Catherine Corsini, décalée Effacer l’historique de Benoît Delépine et Gustave Kervern et sur un registre plus politique Un pays qui se tient sage de David Dufresne. Remarqué sur un tout autre registre pour Bovines (2011), Emmanuel Gras adopte quant à lui une posture délibérément humaniste en s’attachant à un groupe originaire de Chartres au début des hostilités, c’est-à-dire à une époque où des travailleurs précarisés et incapables de joindre les deux bouts décident de se regrouper pour aller exprimer leur mal de vivre sur des agoras populaires en forme de ronds-points, ces cercle vicieux dont l’humoriste Raymond Devos dénonçait l’absurdité dans l’un de ses sketches les plus percutants. La suite, on la connaît : des manifestations hebdomadaires de plus en plus violemment réprimées qui servent de champ de bataille aux anarchistes et au Black Blocks, et une cause qui finit par échapper à ses victimes en brisant leurs ultimes espoirs de justice sociale. Mais le film d’Emmanuel Gras s’arrête avant…
Comme son titre l’indique assez justement et son pronom indéfini le souligne, Un peuple est un portrait de groupe vu à travers l’association des individus qui le composent, à travers leurs rêves et leurs désillusions. Une utopie collective victime de trop d’egos et d’individualismes mal tempérés qui aura raison des espoirs de ses membres les plus idéalistes. Emmanuel Gras nous montre la sincérité de l’engagement d’Agnès, Benoît, Nathalie et Allan, des gens comme les autres qui ont rêvé de changer le monde et ont eu au moins le mérite d’essayer en arborant un symbole fort : ce gilet jaune rendu obligatoire à bord de tous les véhicules pour se faire repérer des autres en cas de panne ou d’accident. Qui aurait pu imaginer signe de reconnaissance plus fédérateur ? Ce film montre ce qu’on appelle parfois péjorativement “la France profonde” en lutte pour un gasoil taxé de quelques centimes de moins et une vie meilleure où les gens recommenceraient à se parler, comme naguère dans la fumée de ces bistrots dont les habitués refaisaient le monde sur un coin de zinc. Le message subliminal d’Un peuple consiste à nous conseiller d’éteindre la télé et d’aller au cinéma pour regarder ces hommes de bonne volonté les yeux dans les yeux et écouter battre leur cœur. Parce que c’est aussi le nôtre.
Jean-Philippe Guerand
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