Films britanno-américain de Joanna Hogg (2019 et 2021), avec Honor Swinton-Byrne, Tilda Swinton, Tom Burke, Joe Alwyn, Richard Ayoade, Charlie Heaton, Ariane Labed, Harris Dickinson, Jack McCullan, Frankie Wilson, Amber Anderson… 1h59 et 1h46. Sortie le 2 février 2022.
Honor Swinton-Byrne et Tom Burke
En pleine mondialisation et de consommation de masse, il est devenu rarissime de découvrir un talent caché quand ce n’est pas instantanément. Tel est pourtant le défi ambitieux que nous propose The Souvenir. Un projet qui se décline en deux films autour d’un personnage féminin qui cultive bien des points communs avec sa réalisatrice. L’histoire se déroule au début des années 80 et s’attache à la rencontre d’une jeune étudiante en cinéma avec un mystérieux dandy bien sous tous rapports, mais plus âgé qu’elle, dont les activités véritables semblent énigmatiques et les addictions redoutables. Hormis leur passion qui semble réciproque, mais un peu contre nature, ils n’ont pas grand-chose en commun, sinon peut-être une bonne éducation de nature à rassurer leurs familles respectives…
Honor Swinton-Byrne et Tilda Swinton
Joanna Hogg, la réalisatrice de The Souvenir, est une authentique révélation. Au point que plusieurs de ses films précédents vont faire l’objet d’une distribution en France au cours des semaines à venir. Il n’est en effet pas banal de voir émerger de nulle part un tel talent, alors même que cette cinéaste britannique a régulièrement été invitée dans les plus grands festivals internationaux et est active, au cinéma comme à la télévision, depuis les années 80 ! Ironie du sort, c’est grâce à un diptyque situé précisément à cette époque dont le personnage principal entretient sans doute pas mal de connivences avec sa créatrice qu’on la découvre aujourd’hui. Sexagénaire aux commandes d’un récit d’apprentissage ambitieux pétri de souvenirs personnels dont la seconde partie montrera son héroïne aux prises avec le dilemme du film de fin d’études : étaler sa science ou dévoiler sa personnalité. Un exercice scolaire qui va lui permettre d’exorciser cette romance toxique à travers son vécu, en gagnant en assurance ses galons de réalisatrice. Une mise en perspective abyssale dont les deux volets se réfléchissent comme dans un miroir. Avec une première partie qui puise son inspiration dans la vie réelle et une seconde qui en décrit la transposition artistique. Le tout baigné par l’obsession d’un petit tableau de l’artiste rococo français Honoré Fragonard peint en 1775 qui représente une femme écrivant le nom de son amoureux sur le tronc d’un arbre. Comme pour s’en souvenir…
Honor Swinton-Byrne
The Souvenir s’avère également indissociable de sa jeune interprète principale, Honor Swinton Byrne, qui affiche la fraîcheur et la spontanéité de son âge, mais aussi l’expérience et la maturité dont elle a hérité de ses parents. En effet, cette jeune femme n’est autre que la fille prodigue de Tilda Swinton (qui incarne d’ailleurs sa propre mère dans le film) et du dramaturge écossais John Byrne. C’est dire qu’elle a de la branche, comme on dit. Elle manifeste toutefois dans la première partie de cette fresque ce phénomène unique qui consiste pour une comédienne à affronter pour la première fois la caméra et à trouver ses marques, sans savoir si l’alchimie fonctionnera comme espéré. Quitte à prendre le risque de rompre ce charme dans la deuxième partie, ce qui correspond en l’occurrence exactement à l’état d’esprit du personnage qu’elle incarne : d’abord pure, innocente et romantique, ensuite mûre, écorchée et résolue à réussir. Avec cette idée lancinante qui habite les artistes les plus authentiques de transformer leur vécu en une création qui ferait office de pierre philosophale voire d’exutoire mémoriel. The Souvenir serait ainsi régi par cet effet de mise en abyme qui multiplie les lectures et rend son projet aussi atypique que passionnant, tant il fait corps avec la vie.
Honor Swinton-Byrne
Ce n’est pas un mais bien deux films que nous découvrons simultanément. Une expérience que n’ont pas vécue les spectateurs britanniques, puisque deux années se sont écoulées entre la réalisation de The Souvenir et celle de The Souvenir, Part II, même si ce diptyque fonctionne comme un ensemble cohérent et s’attache à deux stades complémentaires de l’amour. Le premier décrit la rencontre, la cristallisation, la passion et l’épanouissement ; le second traite quant à lui du deuil, de la renaissance et de la transmutation artistique à travers le premier aboutissement professionnel de son héroïne qui utilise sa tragédie personnelle comme inspiration d’un premier film qui s’annonçait aussi impersonnel que ceux de ses camarades de promootion. Une façon pour Joanna Hogg de proposer une réflexion assez sophistiquée sur la transcendance à travers l’art, une problématique fondamentale, mais pourtant assez rarement traitée à l’écran, sinon dans quelques premiers films maladroits dont les auteurs maîtrisent encore trop peu le langage cinématographique pour pouvoir se montrer tout à fait à la hauteur de leurs intentions. En s’attelant à la soixantaine à ce qui ressemble à s’y méprendre à un film d’apprentissage, la réalisatrice britannique connaît une gloire tardive qui reflète sa démarche singulière en lui donnant encore plus d’impact. Comme si elle avait attendu de parvenir à une maîtrise parfaite pour jouir d’une liberté généralement réservée aux cinéastes débutants. Il faudra donc considérer ses œuvres antérieures, qui vont bénéficier d’une distribution dans la foulée, comme ses étapes successives vers une maturité sans laquelle elle n’aurait sans doute pas été capable de venir à bout de cette folle entreprise.
Jean-Philippe Guerand
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