Film italo-franco-slovène de Laura Samani (2021), avec Celeste Cescutti, Ondina Quadri… 1h29. Sortie le 16 février 2022.
Ondina Quadri et Celeste Cescutti
Dans un village de pêcheurs de l’Italie de 1901, Agata accouche d’une fille mort-née qui n’aura jamais existé faute de baptême. Quand elle apprend l’existence d’une sorte de sanctuaire niché dans les montagnes où sont enterrés ces bébés, dont certains reprendraient parfois brièvement vie le temps qu’on leur accorde une identité, elle décide d’accomplir le périple en compagnie de Lynx, un personnage de rencontre dont le patronyme souligne à dessein la sexualité indéterminée. C’est en s’inspirant de l’existence authentique de ces lieux de sépulture chrétiens répartis dans le Sud de l’Europe, dont il reste aujourd’hui encore des traces tangibles, que Laura Samani a conçu son premier long métrage. La réalisatrice a choisi pour personnage principal une de ces mères inconsolables, alors même que les archives mentionnent essentiellement des pères, sans prendre véritablement en considération la douleur des femmes. Elle justifie la détermination de cette parturiente tout juste remise de couches par sa force de résilience et sa volonté de se mettre en paix avec elle-même en empêchant que son enfant perdu n’erre éternellement dans les limbes ainsi que le prétendait une légende tenace.
Celeste Cescutti
Piccolo corpo est une réflexion bouleversante sur la maternité qui passe par une mise en scène extrêmement dépouillée. Laura Samani affirme un point de vue esthétique fort qui n’est pas sans évoquer ces ascètes du cinéma italien que furent les frères Taviani, Ermanno Olmi ou Mario Brenta à leurs débuts, notamment par l’usage des dialectes régionaux du Frioul et de la Vénétie pour respecter la vérité historique. Elle cède a minima à la tentation du romanesque et se concentre sur ses deux interprètes principaux omniprésents qui ont en commun d’être animés par un esprit de révolte, avec cette ambivalence dont est investi le personnage de Lynx qui confère au film un niveau de lecture supplémentaire. Sur le plan esthétique, la photo du chef opérateur Mitja Licen, qui associe caméra à l’épaule et lumière naturelle, puise son inspiration à la fois dans le cinéma d’Elem Klimov et la peinture de l’artiste symboliste Giovanni Sagantini. Piccolo corpo révèle assurément en Laura Samani la relève d’un cinéma italien devenu trop chiche en auteurs où les réalisatrices sont encore trop peu nombreuses. Avec comme leitmotiv la berceuse chantée par Fredrika Stahl qui nous hante longtemps après le générique de fin. Comme un cri du cœur harmonieux.
Jean-Philippe Guerand
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