Accéder au contenu principal

“Maigret” de Patrice Leconte




Film français de Patrice Leconte (2021), avec Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier, Aurore Clément, Bertrand Poncet, Clara Antoons, André Wilms, Elizabeth Bourgine, Anne Loiret… 1h28. Sortie le 23 février 2022.



André Wilms et Gérard Depardieu



Ces deux-là avaient tout pour se rencontrer. Ils auraient pu le faire à différents moments de la vie. Le Jules Maigret que campe Gérard Depardieu est un héros fatigué qui n’a rien perdu de sa sagacité, mais doit s’adapter aux contraintes de son âge. Jean Richard a incarné le fameux commissaire de 46 à 69 ans, Jean Gabin entre 54 et 59 ans et Bruno Cremer de 62 à 75 ans. Depardieu reprend quant à lui à 73 ans ce rôle emblématique qui arrive au bout de plus d’un demi-siècle de carrière et de près de deux cent cinquante apparitions à l’écran, grand ou petit. Ce personnage qu’il avait côtoyé à l’âge de 25 ans dans un petit rôle du téléfilm “Mon ami Maigret” (1973), il en avait déjà esquissé les principaux signes extérieurs pour Claude Chabrol dans l’ultime long métrage du cinéaste, Bellamy (2009) qui marqua aussi l’unique rencontre de ces deux stakhanovistes bons vivants. Patrice Leconte lui offre aujourd’hui l’occasion de se mesurer aux innombrables acteurs qui ont interprété le personnage dont Georges Simenon a raconté les enquêtes de 1931 à 1972 dans des romans et nouvelles le plus souvent écrits à un rythme déconcertant. Son film est l’adaptation de “Maigret et la jeune morte” bouclé en huit jours de janvier 1954 par son auteur dans sa propriété du Connecticut, lequel a déjà donné lieu à pas moins de quatre téléfilms entre 1959 et 1973.



Gérard Depardieu et Jade Labeste



Derrière son titre laconique, Maigret donne peut-être le coup d’envoi d’une nouvelle saga. La première scène donne le ton : le commissaire passe un check-up au terme duquel son médecin l’invite à modérer ses excès. Pas question pour autant de renoncer à la bonne cuisine de son épouse. L’affaire qui l’occupe est une inconnue en robe de soirée retrouvée assassinée sur la vie publique. Malgré la maigreur des indices, le commissaire laisse parler son instinct. Depardieu nous en donne une version épurée à qui son expérience à appris à écouter davantage qu’il ne parle. Et ce n’est pas une actrice ambitieuse fraîchement fiancée à un homme de la haute qui va lui en remontrer. Le parti que tire Patrice Leconte du roman de Georges Simenon (qui lui avait déjà inspiré naguère Monsieur Hire) relève davantage du drame psychologique que de l’enquête policière. La sagacité du flic expérimenté que campe Depardieu repose sur sa connaissance des autres. Personne ne peut le duper et il a trop été confronté à la misère du monde pour ne pas percer le secret des âmes. Qu’il interroge un ancien déporté (André Wilms dans son ultime apparition à l’écran) ou vienne en aide à une jeune provinciale condamnée à la seule alternative de l’époque, se prostituer ou devenir domestique, le nettoyage des écuries d’Augias passe chez lui par une profonde empathie qui outrepasse les conventions sociales.



Gérard Depardieu



Patrice Leconte collabore ici pour la quatrième fois avec Jérôme Tonnerre, scénariste subtil qui se refuse à saupoudrer ses dialogues de mots d’auteur et excelle dans le non-dit. Il connaît suffisamment bien Simenon pour comprendre que Maigret est moins un homme de mots que de gestes et de regards qui fonctionne un peu comme un accoucheur de consciences, mais compatit volontiers avec les victimes sans la moindre pitié pour les criminels. C’est un anti-héros usé par l’existence qui n’hésite pas à solliciter son épouse pour l’aider à résoudre certains problèmes, mais aussi un fumeur intègre capable de sermonner gentiment son adjoint sous prétexte qu’il risque de briser la bruyère de sa pipe en la frappant trop fort. Un policier zélé qui va voir un film au cinéma après avoir visité l’envers du décor, juste pour saisir l’apparition fugitive de la jeune morte et la découvrir en vie le temps d’un plan. Comme pour la faire ressusciter. Maigret est une œuvre à l’os qui donne de son personnage éponyme une vision attachante mais désabusée dans laquelle Depardieu apporte son expérience inestimable, à l’instar de cette scène au cours de laquelle l’un de ses interlocuteurs lui confie combien il est douloureux de perdre un enfant et où la caméra de Leconte saisit un trouble infime sur son visage en gros plan. C’est toute la magie de ce film délicat et funèbre.

Jean-Philippe Guerand







Gérard Depardieu et Bertrand Poncet

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract