Documentaire franco-arméno-allemand d’Artavazd Pelechian (2019) 1h02. Sortie le 23 février 2022.
Au début, il y a des nuages qui défilent et de la brume qui embellit le personnage. Des montagnes et des flots photogéniques en noir et blanc au grain souvent épais qui ressemblent à des dessins au fusain. Puis arrive le désordre du monde qui dévaste tout sur son passage. Aux phénomènes naturels, éruptions volcaniques, avalanches, tornades et raz de marée, viennent s’ajouter les conséquences du dérèglement climatique avec leur cortège dévastateur. Des pans de terre qui s’effondrent, des voitures, des bateaux, des maisons, des immeubles et des gens emportés par une sorte de colère des éléments révoltés contre le sort que leur fait subir l’être humain en quête d’un monde meilleur qu’il ne cesse de dévaster. Tel est le propos du premier long métrage d’Artavazd Pelechian, La nature, présenté en exclusivité à la Fondation Cartier pour l’art contemporain à l'automne 2020 avant d’être proposé enfin aujourd’hui en salle.
Voici à la fois le point d’orgue et le codicille d’une œuvre composée d’une douzaine de courts et moyens métrages, tournés essentiellement pour la télévision arménienne entre 1964 et 1994, qui n’a cessé de nous alerter sur la fragilité du monde en s’appuyant sur des images documentaires retravaillées esthétiquement dans un but poétique. Sans commentaire et presque sans aucune présence humaine. Justement célébré par Jean-Luc Godard (avec qui il a eu un projet sur la Genèse) et le critique visionnaire Serge Daney qui ont contribué à faire connaître son œuvre atypique en Occident au début des années 80, Artavazd Pelechian, né en 1938 et formé à la célèbre VGIK de Moscou, a bénéficié pour ce projet de longue haleine du soutien de son confrère roumain Andrei Ujica (Out of the Present), jongleur d’images hors-pair, lui-même adepte des projets conceptuels conçus à partir de documents d’archives.
La démarche de Pelechian repose sur une conception du cinéma qui puisse dans son essence même : des images, quelques sons, de la musique et beaucoup de montage. Dès lors, cette approche éminemment sensorielle s’inscrit dans le cadre d’une dialectique qui se contente de montrer pour démontrer, mais s’avère d’une efficacité à toute épreuve. La nature est à la fois le cri du cœur d’un poète désespéré par l’état du monde et un constat implacable sur des ravages que l’homme n’a cessé d’accentuer par sa folie des grandeurs et sa vanité colonisatrice insatiables. Pour être resté en marge du cinéma traditionnel, en raison de la durée atypique de ses films, le réalisateur octogénaire mérite de se voir célébré comme il le mérite, au terme d’un quart de siècle de silence. La nature est de ces œuvres artistiques qui peuvent changer le sens d’une vie en s’imposant comme un avertissement lancé aux générations futures. Pourvu qu’elles l’entendent !
Jean-Philippe Guerand
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