Große Freiheit Film austro-allemand de Sebastian Meise (2021), avec Franz Rogowski, Georg Friedrich, Anton von Lucke, Thomas Prenn, Alfred Hartung, Andreas Patton, Fabian Stumm, Daniel Wagner… 1h56. Sortie le 9 février 2022.
Franz Rogowski
Hans Hoffmann a passé sa vie à aller et venir comme une âme en peine d’une liberté illusoire à une condamnation pour outrage aux bonnes mœurs, en raison du redoutable article 175 du code pénal allemand, demeuré en vigueur jusqu’en… 1994 ! De l’immédiat Après-Guerre à la fin des années 60, il a passé le plus clair de son temps en captivité pour un crime sans victime : son homosexualité. Difficile de ne pas établir un parallèle entre cette chronique de l’obscurantisme et deux biopics britanniques situés dans les années 50 : Prick Up Your Ears (1987) de Stephen Frears, qui s’attache au dramaturge Joe Orton, et Imitation Game (2014) de Morten Tyldum, qui relate le destin du génie mathématique Alan Turing, sacrifiés eux aussi sur l’autel de leurs “mœurs déviantes” par une société puritaine, la Grande-Bretagne. Il aura fallu un demi-siècle pour voir exhumées ces destinées brisées par la morale en vigueur. La spécificité de Great Freedom consiste à montrer que c’est derrière les barreaux que Hans Hoffman se sent le plus libre, car c’est en prison qu’il sympathise avec un compagnon de détention qui devient son mentor et pour lequel il se languit avec des coquetteries de jouvenceau. Un amour à sens unique doublé d’une amitié réciproque qui va lui permettre de résister aux humiliations dont il est victime, sans pour autant connaître le bonheur.
Georg Friedrich et Franz Rogowski
Derrière son titre anglais ironique, qui semble désigner une grande liberté universelle, Great Freedom est un film magistral qui décrit la pression inhumaine qu’exerce la société sur un simple quidam guidé par ses pulsions qui a le tort de dévier de son ordre moral et de braver son puritanisme. C’est aussi la chronique d’une destinée sans issue où la loi des hommes essaie de réglementer non seulement la sexualité, mais aussi les sentiments. Avec dans le rôle principal le plus grand acteur de composition allemand de sa génération : le génial Franz Rogowski qui aurait sans doute inspiré en son temps Rainer Werner Fassbinder. Cet héritier de Peter Lorre préposé aux rôles intenses et aux personnages fébriles est ici la victime d’un cercle vicieux (à tous les sens du terme !) dans lequel la loi n’a de cesse d’enfermer ses boucs émissaires, au nom d’une morale hypocrite qui refuse de prendre en compte une réalité trop longtemps réprimée. Remarqué pour un documentaire choc qui donnait la parole à un pédophile, face caméra et non flouté, Outing, le réalisateur Sebastian Meise souligne l’absurdité d’une situation sans issue qui désigne la prison comme l’unique havre de liberté relative des homosexuels que chacun de leurs actes condamne par principe à être écartés de la société des “bonnes gens”. Comme si les mœurs étaient assimilées à une vulgaire maladie contagieuse…
Franz Rogowski et Georg Friedrich
La mise en scène de ce film est clinique et s’appuie sur un point de vue comportementaliste. Son personnage principal se trouve confronté à des pulsions qu’il est devenu incapable de maîtriser et affiche parfois l’innocence d’un gamin pris en faute qu’on punit sans réellement lui expliquer ce qui lui est reproché. Dès lors, son attirance pour les personnes de son sexe n’est qu’une quête d’amour désespérée qui s’exprime par des relations charnelles le plus souvent clandestines, dans des lieux de rencontre sordides où les autorités n’ont qu’à organiser une surveillance renforcée pour appréhender ceux qu’ils considèrent comme des contrevenants, à défaut d’essayer de comprendre leurs inclinations et de compatir à leur détresse de proscrits. Au fil d’une sorte de course-poursuite ininterrompue qui ne résout jamais rien, mais fonctionne comme une spirale infernale au service d’une répression absurde qui ne s’achèvera qu’un quart de siècle après la soi-disant révolution des mœurs soixante-huitarde.
Franz Rogowski et Georg Friedrich
Great Freedom est le constat terrible du sort réservé à des citoyens marginalisés par la société sous couvert de leurs mœurs. C’est aussi un film dont le personnage principal se soumet à la loi sans jamais s’interdire de céder à ses pulsions, sans jamais amorcer le plus petit mouvement de révolte. La singularité du film de Sebastian Meise est de s’abstraire du moindre jugement moral. Les scènes de drague qu’il met en scène répondent à une sorte de chorégraphie silencieuse dont les sentiments sont absents. Un peu comme dans La chatte à deux têtes (2002) de Jacques Nolot ou L’inconnu du lac (2013) d’Alain Guiraudie, ou avant eux dans le célèbre court métrage de Jean Genet, Un chant d’amour (1950), qui se déroulait lui aussi en prison, il filme des corps en mouvement qui se soumettent à un étrange manège. Des histoires sans paroles lugubres qui se déroulent selon un rituel codifié et réduisent l’homme à une sorte de comportement animal où la rencontre vise à une copulation purement mécanique d’où les sentiments sont exclus. C’est toute la force de ce film qui se garde bien de jamais porter le moindre jugement moral sur son triste anti-héros.
Jean-Philippe Guerand
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