Where’d You Go, Bernadette Film américain de Richard Linklater (2019), avec Cate Blanchett, Billy Crudup, Emma Nelson, Kristen Wiig, Patrick Sebes, Zoe Chao, Laurence Fishburne, Lee Harrington, David Paymer, Steve Zahn… 1h49. Diffusion sur Canal + à partir du 22 février 2022.
Cate Blanchett
Amateur de films concepts, le cinéaste autodidacte Richard Linklater est essentiellement réputé pour sa trilogie Before Sunrise (1995), Before Sunset (2004) et Before Midnight (2013), ainsi que sa tranche de vie au long cours Boyhood (2014) dont le tournage s’est échelonné sur une douzaine d’années. Passé entre les mailles des distributeurs français, Bernadette a disparu (2019) est pourtant un film remarquable à bien des égards qui s’inspire du livre homonyme de Maria Semple publié en 2013 chez Feu croisés. D’abord parce que son rôle-titre est incarné par l’immense Cate Blanchett (à laquelle il a valu une nomination au Golden Globe en 2020) dans le rôle d’une architecte agoraphobe qui a préféré renoncer à ce métier dont elle était l’un des rares espoirs féminins dans un monde dominé par les mâles, plutôt qu’endurer les compromissions qu’il conditionne et en a contracté de sérieuses névroses. Au point de rappeler par certains aspects la ménagère sous influence que campait Julianne Moore dans Safe (1995) de Todd Haynes. Quant aux rêves obsessionnels auxquels elle s’accroche, ils apparaissent bien peu compatibles avec les relations de bon voisinage qui réglementent la vie en société. Le tout sous la protection d’un mari qui a vendu son âme au diable Microsoft et d’une fille unique qui a hérité de sa singularité, mais a la rébellion paisible.
Billy Crudup et Emma Nelson
Il émane de cette fable morale quelques vérités nécessaires que son réalisateur énonce avec le ton frondeur qui caractérise cet autodidacte plutôt inclassable, n’hésitant pas à s’en remettre à des dialogues abondants dont ses interprètent se régalent pour dégainer quelques vérités bien sur senties sur l’état du monde et la situation réservée aux créateurs par des commanditaires qui n’ont plus qu’un lointain rapport avec les mécènes cultivés du temps passé. Cette Bernadette au prénom de sainte, Cate Blanchett l’incarne avec sa perfection coutumière, comme une reine déchue qui se refuse à subir la réalité hideuse du monde et cherche un nouvel élan à cette fièvre créatrice qu’elle ne peut plus exprimer qu’entre les quatre murs de sa maison délabrée dont le jardin devenu une jungle luxuriante dérange l’harmonie à laquelle aspire sa voisine obsédée par l’écologie et le développement durable. Jamais cynique, mais volontiers ironique, Richard Linklater signe une comédie acide sans être acidulée qui concilie une utopie sincère avec une exaltation profonde de l’originalité comme ultime rempart contre le conformisme ambiant, qui plus est dans le cadre de Seattle, peu propice à l’harmonie. Une revendication qui est aussi la sienne en tant que cinéaste au moment où il s’apprête à entreprendre un nouveau film tourné sur vingt ans.
Jean-Philippe Guerand
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