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“Spencer” de Pablo Larraín




Film britanno-allemand de Pablo Larraín (2021), avec Kristen Stewart, Timothy Spall, Jack Farthing, Sean Harris, Stella Gonet, Richard Sammel, Elizabeth Berrington, Lore Stefanek, Amy Manson, Sally Hawkins, Laura Benson… 1h57. Mise en ligne le 17 janvier 2022 sur Amazon Prime Video.



Kristen Stewart



Pablo Larraín aime les femmes seules en souffrance. Après avoir signé un portrait magistral de la jeune veuve de John Fitzgerald Kennedy dans Jackie (2016), il esquisse dans Spencer le biopic de Lady Di en femme bafouée aux prises avec l’étiquette des Windsor, alors que son mariage avec le Prince Charles est en pleine déliquescence. Son film ressemble à la lente chronique d’une dépression. Il montre la princesse confrontée à des obligations qu’elle refuse, avec ses changements de tenue chronométrés et cet emploi du temps auquel ne manque que la pointeuse. Pauvre petite fille riche prisonnière d’un château labyrinthique que des barbelés et des gardes en armes séparent de la maison dans laquelle elle a grandi, avec pour relique dérisoire le costume d’un épouvantail dont elle est convaincue contre toute vraisemblance qu’il a naguère appartenu à son père. Le tour de force de ce film au féminin singulier dont le sens unique ne mène qu’à une impasse est d’observer le monde à travers les yeux de Diana Spencer au moment où le vernis craque et où plus rien de cet apparat ne trouve grâce à ses yeux, sinon le sauvetage de ses deux garçons qui semblent plus mûrs qu’elle et son habilleuse devenue sa confidente qui vaut une formidable composition à Sally Hawkins.



Kristen Stewart, Freddie Spry et Jack Nielen



Spencer nous montre une Lady Di comme promise à l’abattoir à qui sa taille mannequin due à l’anorexie permet de passer de robe en robe comme un spectre égaré, régurgite tout ce qu’elle avale et endure les vexations incessantes de son mari frustré de ne pas vivre avec celle qu’il aime vraiment, l’omniprésente Camilla Shand. La mise en scène du chilien Pablo Larraín joue beaucoup sur la présence de ces arrière-plans flous qui représentent ce qu’elle refuse de voir ou des plans d’ensemble dont les protagonistes semblent figés tels des statues de cire, à l’instar de cette photo de groupe où elle intègre au dernier moment la famille royale au grand complet, reine mère comprise, pour aller se glisser au seul endroit possible : derrière ses fils, en d’autres mots déjà bord cadre… pour ne pas dire borderline. En choisissant de situer ce portrait cinglant pendant la période de Noël où la rupture avec Charles semble consommée, le cinéaste décrypte un rituel incompatible avec l’insouciance, sous le regard impitoyable d’un cuisinier fier de sa fonction, d’un arbitre des élégances que campe avec sa maestria habituelle le génial Timothy Spall, semblable à un aigle prêt à fondre sur sa proie à tout moment, mais aussi de la reine Elizabeth II que ses admirateurs trouveront à raison dépeinte sans magnanimité, elle qui est devenue aujourd’hui une figure tutélaire incontestable. Comme si elle pressentait déjà que la disparition tragique de cette belle fille encombrante lui vaudrait plus tard une annus horribilis en faisant vaciller la monarchie sur ses bases. Il faut la voir trôner à un dîner de famille ou organiser une partie de chasse avec l’autorité requise, tandis que des domestiques envoient méthodiquement des volatiles au carnage.



Kristen Stewart



Au-delà du portrait qu’il dresse de Diana en femme fragile rattrapée par ses névroses, au moment où elle décide de rompre avec son mari, le film de Pablo Larraín éclairé par Claire Mathon (la directrice de la photo attitrée de Céline Sciamma) fait bien mieux qu’illustrer le scénario de Steven Knight, ci-devant auteur de la série “Peaky Blinders” et nommé à l’Oscar en 2004 pour le script de Dirty Pretty Things de Stephen Frears. Il décrit un monde à l’étroit dans ses rituels d’un autre âge auquel on ne peut vraiment appartenir que si l’on a grandi en son sein. Difficile de dissocier la réussite de ce film de son actrice principale, Kristen Stewart, dans la foulée de son interprétation d’une autre femme en proie à ses démons, Jean Seberg. Elle est sans doute ici plus belle que son modèle, mais bouleversante de fragilité quand ses fantasmes l’assaillent, bien qu’elle ne soit pas anglaise, ce qui constitue sans doute ici son point faible et affecte sa diction d’un phrasé parfois un peu artificiel. Comme Natalie Portman dans Jackie, l’actrice fétiche d’Olivier Assayas investit son personnage de l’intérieur et nous prend à témoin de la détresse qui l’assaille et l’incite à s’identifier aux épouses sacrifiées d’Henry VIII. Une descente aux enfers vertigineuse encadrée par deux séquences magistrales dans lesquelles Diana au volant de sa Porsche retrouve le goût de la vie véritable. Sans chauffeur ni courtisans. Comme un prélude à sa mort annoncée.

Jean-Philippe Guerand






Kristen Stewart

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