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“Licorice Pizza” de Paul Thomas Anderson




Film américain de Paul Thomas Anderson (2021), avec Alana Haim, Cooper Hoffman, Bradley Cooper, Benny Safdie, Tom Waits, Sean Penn, Nate Mann, Joseph Cross, Mary Elizabeth Ellis, Harriet Sansom Harris, John Michael Higgins, Danielle Haim… 2h13. Sortie le 5 janvier 2022.



Alana Haim et Cooper Hoffman



Paul Thomas Anderson n’est vraisemblablement pas né à la bonne époque. Il aurait eu toute sa place à l’âge d’or du Nouvel Hollywood, tout en puisant son inspiration au plus profond du cinéma classique, comme l’attestent des œuvres aussi magistrales que There Will Be Blood (2007), qui baigne dans la fièvre du pétrole de l’Entre-Deux-Guerres, The Master (2012), qui prend pour cadre l’Amérique de l’Après-Guerre, ou Phantom Thread (2017) qui se déroule à Londres dans les années 50. Reste qu’il en revient toujours à la période qui semble le fasciner le plus : celle de ces années 70 à l’orée desquelles il a vu le jour. Que ce soit dans l’industrie californienne du porno de Boogie Nights (1997), Le polar Inherent Vice (2014) ou aujourd’hui Licorice Pizza qui prend pour cadre la vallée de San Fernando en 1973 où se déroulait déjà le film choral qui l’a rendu célèbre, Magnolia (1999). Paul Thomas Anderson s’attache cette fois à la rencontre d’un lycéen avec l’assistante du photographe qui organise les séances de pose annuelles des différentes classes. Ils vont ainsi aller ensemble à New York où il est convoqué pour une émission de télévision et nouer des liens amicaux assez étroits…



Alana Haim, Danielle Haim et Cooper Hoffman



Licorice Pizza est la chronique tendre et nostalgique d’une époque que le cinéma a beaucoup immortalisée, surtout vue de la Côte Ouest des États-Unis et de cette Californie érigée au rang de décor de cinéma grandeur nature, ne serait-ce que parce qu’Hollywood y a élu domicile. Anderson choisit à dessein pour protagonistes des jeunes gens parfaitement connus. Face à Cooper Hoffman, le fils de l’un de ses interprètes de prédilection, Philip Seymour Hoffman, dont il a hérité de la bonhomie des débuts, il choisit la cadette des trois sœurs qui constituent le groupe Haim et table sur son expérience de la scène pour la transformer en actrice plus que crédible. C’est d’ailleurs exactement ce qui se produit à l’écran, l’un et l’autre s’imposant à la fois par leur fraîcheur et leur naturel autour d’un enjeu qui va bien au-delà de la sempiternelle romance.



Sean Penn et Alana Haim



Face à Alana Kane (qui conserve son prénom dans son rôle), Gary Valentine personnifie un de ces adolescents californiens à la fois mal dans leur peau sur le plan de l’intime et trop sûrs d’eux quant à leur ambition sociale, sans que l’enjeu amoureux s’avère jamais central. À travers ce personnage bien décidé à réussir coûte que coûte en s’en donnant tous les moyens, Paul Thomas Anderson décrit aussi avec une nostalgie empreinte de tendresse l’état d’esprit d’une époque qu’ont dû connaître ses propres parents dans leur propre jeunesse : celle de la chute cathodique de Richard Nixon baignée par l’immolation des dernières illusions soixante-huitardes dans le bourbier vietnamien. Il saupoudre ainsi son récit de quelques personnages iconiques, qu’il s’agisse du producteur fantasque Jon Peters, campé par Bradley Cooper, ex-coiffeur hissé au firmament par sa relation avec Barbra Streisand, ou des apparitions de Sean Penn et de Tom Waits qui interviennent pour personnifier des icônes, le premier en motard intrépide, le second en barde philosophe.



Cooper Hoffman



Une fois l’argument sentimental promptement évacué par la différence d’âge et de vécu de ses deux protagonistes, Anderson se concentre sur leurs aspirations profondes, en soulignant que c’est l’époque qui les encourage à se montrer audacieux, notamment quand ils profitent de la libéralisation des flippers (interdits depuis… 1939 !) pour surfer sur cette vague en attirant leur génération. Licorice Pizza est aussi une sorte d’élégie païenne à la douceur de vivre dans une Californie à l’abri des écarts de température où la réussite est considérée comme une vertu suprême. L’époque choisie par Paul Thomas Anderson sonne le glas d’une certaine insouciance dans un univers dont le cinéma a immortalisé les traces les plus tangibles. Gageons qu’on pourrait enchaîner sa projection avec celle du Lauréat (1967) de Mike Nichols, du Privé (1973) de Robert Altman ou de La fugue (1975) d’Arthur Penn sans être véritablement en mesure de déceler l’intrus. C’est toute la magie de ce beau film pétri de tendresse que de nous téléporter dans une sorte de paradis perdu où les rêves les plus fous semblaient encore accessibles à une génération encore baignée d’insouciance, malgré les vicissitudes et autres incertitudes inhérentes à cet âge. Voici le premier grand film du cru 2022.

Jean-Philippe Guerand






Cooper Hoffman et Alana Haim

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