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“La leçon d’allemand” de Christian Schwochow




Deutschstunde Film allemand de Christian Schwochow (2019), avec Ulrich Noethen, Tobias Moretti, Levi Eisenblätter, Johanna Wokalek, Sonja Richter, Maria Dragus, Louis Hofmann, Mette Lysdahl… 2h05. Sortie le 12 janvier 2022.



Sonja Richter



Un jeune homme est emprisonné pour avoir rendu copie blanche à un examen sur le thème “Les joies du devoir”. Un sujet qui le concerne d’autant plus qu’il a provoqué sa brouille avec son propre père, officier de police du Reich qui a trahi son amitié avec un peintre de renom en appliquant les consignes officielles consistant à lui interdire l’exercice de son art. De ce sujet épineux emprunté au best-seller homonyme de Siegfried Lenz, La leçon d’allemand tire une réflexion profonde sur la désobéissance civile qui puise son origine dans une histoire vraie, celle du peintre Emil Nolde qui, après avoir rallié les Nazis, s’est retrouvé proscrit en tant que représentant de ce que l’Allemagne hitlérienne qualifiait d’“art dégénéré”. Le film qu’en tire Christian Schwochow est ambigu à souhait et propose une réflexion intéressante sur la place de l’artiste au sein de la société, surtout lorsqu’elle est soumise à un régime autoritaire et aux foudres de la censure. Le réalisateur allemand s’était déjà attaché à la peinture dans Paula (2016), son précédent film distribué en France, consacré quant à lui à l’une des pionnières de l’expressionnisme allemand. Il a également présenté l’an dernier à Berlin Je suis Karl, une chronique de la montée du nationalisme et de la xénophobie diffusée en France sur Netflix.



Tobias Moretti



La leçon d’allemand est un film à tiroirs dont la forme particulièrement soignée évoque la tonalité des toiles de Nolde à travers ses bleus vertigineux, ses noirs abyssaux et ses taches de lumière éclatantes, somptueusement éclairés par le chef opérateur Frank Lamm qui est un compagnon de longue date du réalisateur. L’habileté du film réside dans sa construction sophistiquée, à l’image de son personnage principal que son traumatisme mène à la délinquance parce qu’il s’est choisi un père de substitution rebelle en la personne de cet artiste que son géniteur a trahi pour remplir ce qu’il croyait être son devoir. Avec comme corollaire une réflexion sur le poids de la responsabilité et le droit à la désobéissance civile dans un état totalitaire qui se croit légitime pour mettre l’art en coupe réglée. La mise en scène de Christian Schwochow exploite à merveille les moindres ressources de ces décors naturels tourmentés du littoral de la mer du Nord, aux confins de l’Allemagne, qui imprègnent littéralement leurs personnages, et s’en remet pour une bonne part à des interprètes impeccables autour d’un questionnement fondamental sur les origines du nazisme et l’adhésion du peuple allemand à son idéologie. Une réflexion austère mais pénétrante qui s’éloigne autant que possible de l’imagerie et des clichés, à partir d’un bouc émissaire dont des recherches récentes ont révélé que le modèle (Nolde) avait commencé par être un sympathisant actif du parti national socialiste dans le seul but de servir son ambition artistique, paramètre déterminant qui aurait pu rendre cette réflexion encore plus passionnante.

Jean-Philippe Guerand





Ulrich Noethen et Levi Eisenblätter

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